Il y a mythe et mythe

Le mot « mythe » s’entend dans un sens négatif ou dans un sens positif. Concernant Gandhi, le mot s’applique dans les deux sens. Le sens positif, c’est son legs toujours vivant de l’idée de la non-violence. Le sens négatif, c’est le fait que la réalité du personnage Gandhi est très éloignée de l’idée que l’on s’en fait. Le Mahatma était incontestablement une personnalité hors du commun, un ascète, un défenseur des opprimés, un meneur d’un courage inépuisable, un politique habile, un visionnaire qui a maintes fois fait trembler sur ses bases le Raj britannique et a contribué à faire évoluer l’Inde vers la démocratie et l’indépendance. Mais en réalité, aucune de ses campagnes de désobéissance civile n’a eu les effets escomptés. Il n’était pas partisan de l’indépendance. Il a renié à répétition son engagement pour la non-violence. Il a creusé le fossé entre hindous et musulmans. Il faisait passer ses convictions religieuses avant toutes choses, se croyant l’envoyé direct de Dieu. C’était un moraliste intégriste, un réactionnaire hostile au progrès technique, y compris médical, obstinément attaché au système des castes et très réticent à l’égard des notions occidentales de lutte des classes, et même de l’instruction pour tous. L’idée de la non-violence peut elle-même être considérée comme un mythe, dans les deux sens du terme. Les pacifistes de l’entre-deux-guerres étaient des rêveurs. En Inde même, la non-violence s’est soldée par un échec tragique, si l’on songe aux épouvantables tueries interconfessionnelles qui se sont produites après la Seconde Guerre mondiale et ont abouti à la partition. Dans l’histoire récente, les militants de la non-violence ont complètement échoué en Chine, en Égypte, en Israël, en Russie. La non-violence est sans objet face à Daech ou Boko Haram. Elle a néanmoins joué un rôle déterminant aux États-Unis avec Martin Luther King, en Afrique du Sud avec Mandela, en Europe de l’Est avec Walesa et Havel et, ces dernières années, en Iran et en Tunisie. Dans les vieilles démocraties, le recours à la violence appartient au passé. C’est l’hommage à rendre à Gandhi : si on la libère de ses oripeaux religieux, la non-violence reste une idée d’avenir.

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