Captologie

Les lecteurs de Books ne nous en voudront peut-être pas de chercher à capter leur attention. Les non-lecteurs ne connaissent pas (encore) leur bonheur. Sous un certain angle, la vie en société est irriguée par la recherche des moyens de capter l’attention. C’est déjà vrai des bébés. À l’adolescence puis à l’âge adulte, ne pas y parvenir est un drame, dans la vie professionnelle comme dans la vie privée. Il faut se faire anachorète pour échapper à cette ardente obligation. Certains, les plus sages sans doute, se contentent de l’attention qu’ils reçoivent du cercle de leurs proches, au travail (s’ils en ont), en famille et auprès de leurs amis. D’autres, plus ambitieux, déploient toutes sortes de moyens pour attirer le regard sur leur talent supposé ou leurs idées. La solitude, un sentiment de rejet, peuvent conduire à mettre en œuvre des moyens extrêmes – tentative de suicide, aujourd’hui suicide filmé (grâce au smartphone), massacre à l’aveugle. Attirer l’attention est aussi ce que recherche tout groupe en quête d’influence, syndicat, lobby, mouvement citoyen. C’est la clef du succès, si éphémère soit-il. Les stratèges de Daech maîtrisent bien le sujet. La scène politique et l’économie de marché peuvent s’analyser en termes de concurrence pour l’attention. La technologie dont le smartphone est l’aboutissement réinvente cette problématique de fond en comble. Une révolution sociétale est en cours. En quelques années, cet objet est devenu l’outil de captation d’attention le plus omniprésent et le plus efficace. Il exerce une influence profonde sur le comportement des acteurs économiques, des citoyens et particulièrement des jeunes. C’est devenu un sujet d’inquiétude. Sociologues et psychologues sont de plus en plus nombreux à alerter sur le risque de déstructuration des relations sociales, de déperdition de l’esprit critique et de perte d’intérêt pour l’effort intellectuel. L’inquiétude se concentre sur l’existence d’une dynamique addictive perverse, orchestrée par des professionnels du marketing fiers de promouvoir une nouvelle discipline : la « captologie ».

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