A mon signal, soyez heureux
Publié le 11 février 2016. Par La rédaction de Books.
Poète assis avec masque de comédie.
Les Emirats arabes unis viennent de nommer une femme ministre du Bonheur. De la part d’un pays où le divorce est quasi impossible et la violence conjugale un droit accordé à l’époux, la décision ne manque pas de sel. Mais, au-delà du paradoxe, la mesure ne témoigne-t-elle pas d’une évolution louable des préoccupations gouvernementales ?
Pas si l’on en croit le sociologue William Davies. Dans The Happiness Industry, il analyse d’un œil très chagrin l’omniprésente quête du bonheur dont témoignent les innombrables livres, applications, sommets internationaux ou séminaires d’entreprise dédiés à l’augmentation de notre bien-être. Les entreprises, confrontées au stress et à l’insatisfaction de leurs clients comme de leurs salariés, multiplient les initiatives en ce sens. British Airways teste une « couverture du bonheur », qui vire au bleu quand les passagers sont détendus ; et un festival artistique utilise les caméras de surveillance pour compter les sourires des participants. Les Etats font de même. En 2010, le gouvernement britannique a mis sur pied une équipe dédiée à « la perspicacité comportementale », notamment grâce à l’analyse des niveaux de « bonheur ». Elle devait imaginer « des politiques susceptibles d’encourager les gens à faire de meilleurs choix pour eux et pour la société ». Une démarche qui a également séduit les Etats-Unis et l’Australie.
Sous couvert de politique du bonheur, affirme Davies en substance, nous assistons au développement de nouvelles formes de contrôle et de manipulation. Car cette mise en équation scientifique et économique d’un sentiment aussi impalpable dissimule un objectif insidieux : concevoir un « indice unique de l’optimisation humaine », qui réduit la vie à des attributs que l’on peut identifier, mettre en courbes et, in fine, contrôler. Ce n’est pas un hasard si, en Grande-Bretagne, les chômeurs doivent suivre des formations à la pensée positive. L’attention au bien-être, écrit Davies, est au service d’un programme néolibéral qui « rend les individus responsables de leur propre malheur, et ignore le contexte qui y a contribué ».