Arsenic et vieilles dentelles

L'origine de la vie passionne. Et depuis la « petite mare tiède » proposée par Charles Darwin comme son humide berceau, c'est devenu un lieu commun de penser à la naissance de la vie non comme celle de Vénus dans un coquillage, mais dans un infâme brouet. Une réflexion sur les conditions nécessaires écarte pourtant rapidement cette idée. Et voici donc un moyen simple de savoir ce qu'il vaut mieux ne pas lire sur le sujet: oublier tout ce qui parle de soupe. Tout à l'opposé, un très petit livre de Freeman Dyson, publié il y a un quart de siècle et intitulé Origins of Life (au pluriel, bien sûr), apporte une vraie réflexion sur le sujet. Dyson y montre que la vie, comme nous la comprenons aujourd'hui, ne peut pas être apparue en une seule fois. Il montre qu'il faut la reproduction d'un métabolisme (copie approximative de premières réactions chimiques organisées), précédant une étape de réplication (copie exacte d'une mémoire de ce métabolisme) pour que naisse la vie. Dyson ne s'interroge pas sur les lieux possibles où pourraient se dérouler ce métabolisme originel. Mais il ne fait aucun doute que le monde minéral doit y être central. La vie aujourd'hui gère son énergie par le transfert d'un minéral qui nous est familier, le phosphate (la base des os et des dents), formé d'un atome de phosphore, de quatre atomes d'oxygène, et d'un nombre variable d'atomes d'hydrogène (suivant l'acidité du milieu). Sans phosphate, pas de vie. Mais voici que la NASA, à grand renfort de communiqués de presse, prétend avoir découvert autre chose. Les médias de masse s'emballent. L'arsenic aurait pu remplacer le phosphore ! Eh bien, il suffit d'un peu de bon sens et d'une connaissance scolaire de la chimie pour comprendre que ce n'est pas possible, et que cette nouveauté n'est rien d'autre que la résurrection du mythe de l'éternelle nouveauté. Mais nos médias ont besoin de trouver du neuf chaque jour, et de l'oublier aussitôt. Pour que la vie existe il faut de nombreuses restrictions. Il faut un métabolisme, donc une dynamique, et la formation de polymères (pour gérer l'information et la catalyse). Ces deux conditions ne peuvent être remplies que dans un domaine très étroit de température. En gros, autour de celle où l'eau est liquide. Or faire des polymères, surtout informationnels, suppose le partage d'électrons entre plusieurs noyaux atomiques. Et là — souvenez-vous des leçons de physique au lycée — les contraintes sont très fortes : les seuls atomes vraiment possibles sont ceux où les électrons (négatifs) engagés dans ces liaisons sont immédiatement proches du noyau (positif). C'est pourquoi la vie se crée à partir de petits atomes: hydrogène, carbone, azote, oxygène. Il manque ici le bore, qui aurait dû faire partie de cette série. Mais, pour des raisons cosmologiques (formation des premiers atomes au début de notre univers) le bore est rare dans l'univers. L'absence de bore est donc accidentelle. Mais il pourrait exister un ailleurs où, pour une raison inattendue on trouverait beaucoup de bore, et cela aurait été un bon choix pour la NASA. Maintenant, quand on descend dans le tableau périodique des éléments (oui, encore le lycée !) la présence de couches électroniques intérieures remplies rendent les liaisons chimiques plus instables. C'est ainsi que le soufre ne peut jouer le même rôle que l'oxygène. Le phosphore, analogue de l'azote, est original. Il ne peut réaliser que des liaisons stables en nombre limité. Mais l'une d'elles, la liaison avec l'oxygène, donne des polymères comme les polyphosphates, par perte d'une molécule d'eau. Ces composés devraient être facilement détruits par l'eau, mais, pour cela, il faut franchir une énorme énergie d'activation, ils sont « métastables ». C'est la raison même pour laquelle la liaison phosphate est « riche en énergie ». A l'inverse, le silicium, qui serait l'analogue supérieur du carbone, ne donne rien de bien intéressant. Tout au plus des éléments de squelette (comme dans les diatomées) et peut-être quelques rares composés originaux. Pour l'arsenic, la situation est encore moins bonne. Cette fois la liaison analogue à celle des polyphosphates est facilement détruite par l'eau (sans grande énergie d'activation). Par ailleurs, comme chez les atomes lourds les électrons externes sont de moins en moins attirés par le noyau, cela conduit à toutes sortes de réactions d'oxydo-réduction (le soufre, par exemple, dans les cellules a un niveau d'oxydation qui varie de -2 à +6 !!!). Cela fait que, sans être grand clerc, on peut affirmer aisément que l'arsenic ne peut pas prendre la place du phosphore, sauf peut-être de façon tout à fait anecdotique. Parions donc que la célébrité de l'arsenic comme nouvel élément de la vie sera bien éphémère. Mais elle nous donne une leçon sur ce que doit être l'esprit critique. Pourquoi chercher à tout prix le mystère et ne pas s'émerveiller plutôt que la simplicité des lois de la physique nous permette, sans addition de mystères, de connaître des organismes aussi extraordinaires que les êtres vivants ?

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