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Un beau vœu pour le Nouvel an


George Richmond.

Troquer la voiture contre le vélo, arrêter de fumer, prendre la vie du bon côté, les résolutions du 31 décembre sont souvent aussi éphémères que les douze coups de minuit. Voilà pourquoi dans « La nuit du nouvel an d’un malheureux », poème en prose traduit par Gérard de Nerval, l’écrivain romantique allemand Jean Paul ne nous en propose qu’une seule, la plus importante. Ecoutez son conseil.

 

 

Un vieil homme était assis devant sa fenêtre à minuit ; le nouvel an commençait. D’un œil où se peignaient l’inquiétude et le désespoir, il contempla longtemps le ciel immuable, paré d’un éclat immortel, et aussi la terre, blanche, pure et tranquille ; et personne n’était autant que lui privé de joie et de sommeil, car son tombeau était là… non plus caché sous la verdure du jeune âge, mais nu et tout environné des neiges de la vieillesse. Il ne lui restait, au vieillard, de toute sa vie, riche et joyeuse, que des erreurs, des péchés et des maladies, un corps usé, une âme gâtée, et un vieux cœur empoisonné de repentirs.

Voici que les heureux jours de sa jeunesse repassèrent devant lui comme des fantômes, et lui rappelèrent l’éclatante matinée où son père l’avait conduit à l’embranchement de deux sentiers : à droite, le sentier glorieux de la vertu, large, clair, entouré de riantes contrées où voltigeaient des nuées d’anges ; à gauche, le chemin rapide du vice, et, au bout, une gueule béante qui dégouttait de poisons, qui fourmillait de serpents, demi-voilée d’une vapeur étouffante et noire.

Hélas ! maintenant, les reptiles se pendaient à son cou, le poison tombait goutte à goutte sur sa langue, et il voyait enfin où il en était venu.

Dans le transport d’une impérissable douleur, il s’écria ainsi vers le ciel : « Rends-moi ma jeunesse !… ô mon père, reconduis-moi à l’embranchement des deux sentiers, afin que je choisisse encore ! »

Mais son père était loin, et sa jeunesse aussi. Il vit des follets danser sur la surface d’un marais, puis aller s’éteindre dans un cimetière, et il dit : » Ce sont mes jours de folie ! » Il vit encore une étoile se détacher du ciel, tracer un sillon de feu, et s’évanouir dans la terre : « C’est moi ! » s’écria son cœur, qui saignait… Et le serpent du repentir se mit à le ronger plus profondément, et enfonça sa tête dans la plaie.

Son imagination délirante lui montre alors des somnambules voltigeant sur les toits, un moulin à vent qui veut l’écraser avec ses grands bras menaçants, et, dans le fond d’un cercueil, un spectre solitaire qui se revêt insensiblement de tous ses traits… Ô terreur ! mais voici que tout à coup le son des cloches qui célèbrent la nouvelle année parvient à ses oreilles comme l’écho d’un céleste cantique. Une douce émotion redescend en lui… ses yeux se reportent vers l’horizon et vers la surface paisible de la terre… Il songe aux amis de son enfance, qui, meilleurs et plus heureux, sont devenus de bons pères de famille, de grands modèles parmi les hommes, et il dit amèrement : « Oh ! si j’avais voulu, je pourrais comme vous passer dans les bras du sommeil cette première nuit de l’année ! je pourrais vivre heureux, mes bons parents, si j’avais accompli toujours vos vœux de nouvel an et suivi vos sages conseils ! »

Dans ces souvenirs d’agitation et de fièvre qui le reportaient à des temps plus fortunés, il croit voir soudain le fantôme qui portait ses traits se lever de sa couche glacée… et bientôt, singulier effet du pouvoir des génies de l’avenir, dans cette nuit de nouvelle année, le spectre s’avançait à lui sous ses traits de jeune homme.

C’en est trop pour l’infortuné !… il cache son visage dans ses mains, des torrents de larmes en ruissellent ; quelques faibles soupirs peuvent à peine s’exhaler de son âme désespérée. « Reviens, dil-il, ô jeunesse, reviens ! »

Et la jeunesse revint, car tout cela n’était qu’un rêve de nouvel an : il était dans la fleur de l’âge, et ses erreurs seules avaient été réelles. Mais il rendit grâces à Dieu de ce qu’il était temps encore pour lui de quitter le sentier du vice et de suivre le chemin glorieux de la vertu, qui seul conduit au bonheur.

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Fais comme lui, jeune homme, si comme lui tu t’es trompé de voie, ou ce rêve affreux sera désormais ton juge ; mais, si tu devais un jour t’écrier douloureusement : « Reviens, jeunesse, reviens !… » elle ne reviendrait pas.

LE LIVRE
LE LIVRE

La Nuit du nouvel an d’un malheureux de Jean-Paul Richter, Garnier, 1877

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