Bismarck et l’argent

En ces temps difficiles, où la politique se retrouve à la botte de la finance et des marchés, il est rafraîchissant de se tourner vers une époque où la situation était résolument inverse. Cela permet aussi de revisiter la question toujours fascinante de la relation des hommes – politiques ou non – à l’argent.

Ainsi Bismarck. Le terrifiant chancelier, à la brutalité proverbiale et à la sexualité insatiable, était en matière de finances craintif et prudent comme un hérisson. Du moins en ce qui concerne la préservation de sa fortune, car pour la constitution de celle-ci, il a fait preuve d’une remarquable largeur d’esprit. À l’époque, la notion de « délit d’initié » n’existait pas, et Otto von Bismarck et son conseiller financier, Gerson von Bleichröder, profitaient allègrement de toutes les opportunités suscitées par la politique du chancelier. Par exemple, ils remplirent à ras bords leurs portefeuilles de titres de chemin de fer russe au moment où Berlin envisageait d’entamer une politique de rapprochement avec la Russie ! Mieux encore : la nation reconnaissante organisa une souscription pour offrir à Bismarck, pour son soixante-dix-septième anniversaire, de quoi réaliser un « projet national ». En fait, celui-ci utilisa les fonds récoltés pour acheter des terres autour de son château.

Décadence

Dans de telles conditions, pas surprenant que le chancelier ait pu amasser de son vivant une fortune tout à fait rondelette. Mais cette fortune, acquise si aventureusement, était investie de façon tout à fait popote : pas question qu’elle ne rapporte plus de 4 % par an au-dessus de l’inflation (1 % à l’époque) ! Plus, cela aurait été de la spéculation ! Bismarck avait par ailleurs une grande tendresse pour le plus conservateur de tous les investissements : la forêt. Il ne jurait que par le bois allemand, qui, pensait-il, devait rapporter sur le long terme 4,75 % par an ; et en cas d’inflation ou de crise, on pouvait toujours couper un peu plus de bûches. Sur ces bases-là, on a calculé que la fortune du chancelier doublait tous les 17 ans. De quoi garantir à ses héritiers une absolue tranquillité financière transgénérationnelle. En réalité, comme c’est souvent le cas, cette fortune s’est retournée contre ses détenteurs, et l’histoire récente de la famille Bismarck semble celle d’une implacable décadence – overdoses diverse, morts violentes, blanchiment d’argent, et même un fils poursuivant sa mère avec un fusil dans les couloirs du château familial !

LE LIVRE
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Hedgehogging, Wiley

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