La tortilla a de l’avenir

Le maïs n’a pas la cote en France, du moins auprès des touristes ou des écologistes: c’est une culture moche, dévoreuse d’espace, d’eau, d’électricité (pour le pompage), c’est le cheval de Troie des OGM, et en plus ça sent les pieds ! Mais, comme dit Éric Orsenna (1), « n’accablons pas le soldat maïs » : il s’agit quand même d’une plante dont la production a triplé depuis les années 1960 (1 milliard de tonnes par an), et qui représente la moitié de toutes les céréales cultivées sur terre. L’épi doit donc avoir quelques mérites ! Un livre récemment paru, La géographie amoureuse du maïs (2), par Sylvie Brunel, permet de les recenser.

En gros, le maïs y est paré de (presque) tous les avantages : il a le meilleur rendement de toutes les céréales (jusqu’à 800 grains pour un de semé) ; il n’épuise pas les sols et se replante au même endroit ; on peut l’hybrider à l’infini, ce qui permet aujourd’hui de cultiver le maïs du 50e degré sud au 50e degré nord, voire, réchauffement climatique oblige, jusqu’au Groenland. Et surtout – surtout –, le maïs convient à une spectaculaire quantité d’usages : nourriture, aliment pour bétail (un ministre de l’agriculture mexicain cité par l’auteure dit de la dinde locale qu’elle est un concentré de maïs » !), combustible, alcool aussi (chicha ou whisky). Et cela, avant la révolution industrielle. Depuis, on retrouve le maïs sous une forme ou une autre aussi bien dans la plupart des produits alimentaires que dans les réservoirs des véhicules ou encore ailleurs : un quart des produits dans un supermarché, tous rayons confondus, contiendraient du maïs.

Pas étonnant dans ces conditions que le maïs ait été souvent divinisé (notamment chez les Mayas, qui allaient jusqu’à étirer le crâne des nouveau-nés de haut rang pour leur donner la forme d’un épi), et qu’il ait aussi conquis la planète à une telle vitesse : depuis que Christophe Colomb a rapporté de la Barbade quelques épis de «Mahiz », la plante a rapidement envahi l’Europe, puis le Proche-Orient et l’Afrique, pour conquérir la Chine (aujourd’hui le second producteur mondial après les États-Unis). Pris de vitesse par cette prolifération, les populations locales n’ont jamais très bien su comment appeler la céréale, difficilement reconnaissable entre ses milliers de variétés : maïs, blé d’Inde, Indian corn, etc. Même une langue locale comme le gascon comporte au moins cinq façons de la désigner ! Beaucoup de peuples – les Chinois notamment – sont d’ailleurs persuadés qu’il s’agit d’une plante autochtone. Et, une fois cuisiné, en tortilla, polenta, ou pop-corn, le maïs définit un peu la civilisation qui l’accueille.

Le maïs a longtemps été la plante vivrière par excellence, et l’humanité lui doit probablement sa croissance à l’abri des famines. Comme disait Fernand Braudel, « le paysan vend son blé, mais il mange son maïs ». Aujourd’hui, on dirait plutôt que le maïs est la plante de la globalisation. Son incroyable plasticité a permis aux scientifiques de le modeler pour tous les pays et tous les usages, en en faisant un cobaye de choix de la génétique, depuis Johann Mendel, qui a fondé ses études presque autant sur le maïs que sur les pois, jusqu’aux OGM du présent. L’auteure évite cependant de trop s’engager sur ce terrain. Elle contourne l’obstacle en mettant en avant une autre séduction du valeureux végétal : ses avantages écologiques ! Lesquels sont tout saufs négligeables. Prenez le réchauffement climatique : non seulement le maïs en bénéficie largement, et nous avec, mais en plus il contribue à le combattre, c’est un grand avaleur de CO2. Il consomme de l’eau, certes, mais de l’eau « efficiente». Il est très peu gourmand en traitements chimiques (deux par an seulement). Enfin, on pourrait aisément le faire rentrer dans le droit chemin écologique en revitalisant des méthodes de culture traditionnelles, comme celle que les Indiens iroquois appelaient « les trois sœurs » : du maïs, autour duquel s’enroulent des haricots, qui le protègent, et au pied duquel pousse des courges qui profitent de l’humidité tout en purifiant le sol. Ou encore en le cultivant sans labourer. Quand nous serons 9 ou 10 milliards sur notre petite planète, il y a fort à parier que la tortilla sera souvent au menu.

Jean-Louis de Montesquiou

1. L’avenir de l’eau.

2. JC Lattès, 2012.

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