Le chimpanzé, bête politique

Ambitions contrariées, rivalités, alliances tactiques et trahisons… Chez les chimpanzés de l'île Ngamba (Ouganda), le match des egos pour la conquête du pouvoir est un feuilleton aux multiples rebondissements.

J’ai eu (plusieurs fois) l’occasion de commenter la situation politique dans la colonie de chimpanzés de l’île Ngamba, sur le lac Victoria, en Ouganda, où une troupe d’une cinquantaine de ces primates a trouvé refuge sur un territoire de 150 hectares. Ils y survivent en vase clos mais en totale liberté (ce sont leurs gardiens qui sont enfermés derrière un grillage, au bout de l’île), des conditions idéales pour observer le fonctionnement de cette société si voisine de la nôtre.

J’avais laissé le nouveau leader Mika, il y a plus de deux ans, dans une situation très incertaine. Il avait saisi le pouvoir des pattes du vieux chef Robby, à la faveur d’une sorte de coup d’État, avec le concours d’Eddy, un rival à la fiabilité douteuse qui guettait visiblement son heure. Et depuis lors, entre le vieux chef toujours dans les coulisses et le rival qui s’affirmait, Mika donnait un cours de plus en plus libre à ses tendances autoritaires, tentant difficilement de juguler des critiques constamment plus vives (toute ressemblance avec l’histoire récente d’un parti politique français de droite…).

Et bien, Mika est mort. On ne sait pas dans quelles circonstances – il avait été déposé il y a plusieurs mois et avait depuis disparu seul dans la jungle de l’île. On vient de retrouver son corps dans un bien triste état, mais néanmoins entouré de signes « funéraires » : des branchages ont été amoncelés sur lui, et le dégagement d’un espace autour du cadavre indique des rassemblements fréquents. Ce qui confirme que les chimpanzés sont encore plus proches de nous que nous ne le pensions : la mort leur inspire une forme de respect – et le leadership politique, même malheureux, aussi.

Depuis, c’est la pagaille dans le groupe. Il n’y a pas moins de six prétendants déclarés à la succession de Mika. Au début, Kalema, 19 ans, tenait la corde : il avait affronté séparément tous les mâles dominants, et les avait rossés. Mais les anciens se sont alliés contre lui, « car il ne leur témoignait pas assez de respect », selon le responsable de la réserve. Du coup, un challenger s’est mis en campagne, Omutemba. Il a fait ce qu’il fallait comme salamalecs auprès des anciens, puis, soudainement, a abandonné la course (des pressions ?). Aussitôt, c’est Kitembo qui a déposé sa candidature, encouragé, semble-t-il, par les jeunes. Mais les vieux sont méfiants. Et l’on ne sait quel prétendant les vieilles femelles, discrètement influentes, soutiennent en sous patte. Le processus dure depuis plusieurs semaines, et pourrait se prolonger longtemps encore. Les chimpanzés prennent la politique très au sérieux, mais n’ont pas encore élaboré de cadre structurel ou conceptuel adéquat. Faut-il ouvrir un Sciences-Po à Ngamba ?

Jean-Louis de Montesquiou

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