Ce que l’autisme fait au père

Un premier roman fait le récit cru et viscéral du combat quotidien d’un père pour son enfant autiste.

« Viens mon amour, viens avec maman. On va jouer ? Qu’est-ce que tu veux faire ? On va jouer aux voitures ? Dis voiture. V-O-I-T-U-R-E. Regarde-moi. Regarde-moi Henrique arrête de faire tourner ça. Dis quelque chose à maman. Dis quelque chose. Seulement pour qu’on sache que ça vaut le coup, qu’on est encore ici, vivants, et que ça veut dire quelque chose. Putain, Henrique, merde ! Écoute, dis merde. Dis M-E-R-D-E à ton papa. Dis-lui ça quand il mettra la clé dans la porte et viendra te donner un bisou et oublier, comme il oublie toujours, de m’en donner un à moi. » Dans Autisme, son premier roman, le Portugais Valério Romão fait le portrait au scalpel de la lutte au quotidien d’un jeune couple lisboète pour leur fils atteint d’autisme. Un roman brut, qui malmène le lecteur en l’agrippant et en le maintenant sous pression, à l’image de ce père et de cette mère qui étouffent leur angoisse, leur souffrance, leur culpabilité, se déchirent et s’éloignent chaque jour un peu plus, condamnés qu’ils sont à rester pour un bon moment encore dans ce qui pourrait bien être la salle d’attente de l’enfer. Attendre de poser un diagnostic sur cet enfant dont ils doivent admettre au fil du temps qu’il est « peut-être plus spécial que normal, et plus différent de ce qu’ils auraient tous les deux voulu qu’il soit ». Attendre, une fois le diagnostic de l’autisme posé, qu’Henrique grandisse pour savoir s’il fera partie de ceux qui sont capables de se débrouiller, ou bien des autres… Attendre aussi de se quitter, quand tout « préfigure déjà le dénouement d’une séparation physique, le moment où il sera moins difficile de souffrir séparément ». Et Romão sait de quoi il parle, puisqu’il est lui-même père d’un garçon atteint de « troubles du spectre de l’autisme », comme disent les médecins. Aucun sentimentalisme, pourtant, dans ce roman coup-de-poing. « Je voulais faire quelque chose de différent de la littérature classique sur le sujet », explique Romão au quotidien Público. « Il existe beaucoup de récits sur l’autisme, mais j’avais le sentiment qu’il manquait un point de vue essentiel, celui de la vie d’un père, une vie dans laquelle la douleur est très présente. » Car Autisme est avant tout un roman de la « paternité manquée ». Manquée non pas du fait d’être un mauvais père, ou une mauvaise mère, mais « au sens d’une incomplétude ». « Dans le cas de l’autisme, on n’arrive pas à être complètement père ou mère, parce que votre enfant n’est pas comme les autres. La paternité ne se développe pas de la même façon. » Cru, viscéral, ce roman est un portrait. Pas un portrait de l’autisme, mais un portrait de père qui souffre, qui sombre, étouffé chaque jour un peu plus par une réalité qui dévore toute sa vie de parent.
LE LIVRE
LE LIVRE

Autisme de Valério Romão, Chandeigne, 2016

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