Ce qui fait une bonne constitution

Les Français adorent les constitutions. Depuis l’abolition de l’Ancien Régime, nous en avons aligné quinze. Et nos très démocratiques dirigeants adorent les réviser. Celle de la Vè République a connu vingt-quatre révisions. La vingt-cinquième est sous presse. Comme divers professeurs de droit le font observer, elle ne semble guère utile. Annoncée dans l’émotion des attentats de novembre, elle est le produit… de l’émotion. Il n’est que de lire l’avis embarrassé du Conseil d’Etat pour s’en convaincre. Le seul motif de satisfaction de la haute juridiction administrative est de voir le rôle du juge administratif renforcé au détriment du pouvoir judiciaire : une satisfaction aisément imputable à l’esprit de corps. L’affaire rappelle le Patriot Act voté par le Congrès américain après les attentats du 11 septembre 2001. Plusieurs des mesures dudit Act ont été jugées inconstitutionnelles. On pourrait certes en inférer l’intérêt d’inscrire dans notre constitution les mesures actuellement envisagées (déchéance de nationalité, état d’urgence), mais ce n’est pas une garantie. Le Conseil d’Etat fait valoir que même si elles y sont finalement introduites (avec l’accord des trois cinquièmes des suffrages exprimés des deux chambres réunies), elles pourraient être contestées par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice européenne. Bref, avant même son adoption, ce projet paraît relever d’une forme très française d’improvisation et de gesticulation politiques. Cela donne au moins l’occasion de réfléchir à la fonction d’une bonne constitution. « Il faut qu’une constitution soit courte et obscure », aurait dit au juriste Pierre Daunou Napoléon Bonaparte après le coup d’Etat du 18 brumaire. Daunou a rédigé la constitution de l’an VIII en onze jours. Pourquoi pas. Napoléon aurait pu faire observer qu’à ce compte, la constitution la plus courte et la plus obscure du monde est celle du Royaume-Uni : elle n’existe pas. Le pays qui a fondé la démocratie moderne se passe très bien d’un tel artifice. Citoyens et dirigeants s’accommodent d’un empilement de textes et de coutumes remontant à la Magna Carta, qui a fêté en 2015 son 800è anniversaire. Excusez du peu. En 1215 donc, cette charte royale posait : « nul homme libre ne sera arrêté ou emprisonné, ou dessaisi de ses droits ni de ses biens, ou banni ou exilé, ou privé de son statut par quelque autre moyen, et nous ne procéderons pas par force envers lui, sinon par un jugement légal de ses égaux ou par la loi du pays ». C’était un texte de circonstance, mais les mots ont porté, au-delà des siècles. Les tribunaux britanniques et américains continuent de s’y référer. La constitution française est longue et pas toujours limpide. Archaïsmes et contradictions y abondent. « Le Président de la République […] nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat ». Cela fait beaucoup de monde pour un seul homme. Il est « le chef des armées », mais « le Gouvernement […] dispose de la force armée ». C’est l’un ou c’est l’autre ? « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », mais le Président de la République préside le Conseil des Ministres, dont il a nommé tous les membres. Alors, qui décide ? Un flou artistique voulu par de Gaulle, à son profit, lors de la rédaction d’un texte pris en état d’extrême urgence, dans le sillage du putsch d’Alger du 13 mai 1958. Est-ce toujours de saison ? Les démocraties ont une tête, pas deux. Pour jouer au jeu de la révision, on peut mettre en avant d’autres intéressants archaïsmes. Ainsi les préfets sont nommés en Conseil des Ministres. Mais a-t-on vraiment besoin de préfets ? Exception française, héritée de Napoléon. Les recteurs aussi sont nommés en Conseil des Ministres. Mais a-t-on vraiment besoin de recteurs ? Autre héritage napoléonien. On pourrait concevoir que la responsabilité de l’organisation des écoles et des universités soit confiée aux nouvelles régions. Un moyen de tuer le mammouth, peut-être ? « L’hymne national est la “Marseillaise” », lit-on dans ce qui est devenu l’article 2. Question à poser au Conseil constitutionnel : comment remplacer les deux dernières lignes du refrain, « Qu’un sang impur abreuve nos sillons » ? La formule paraît moins refléter l’esprit d’un pays libéral avancé que celui des terroristes de Daech. Ceux-là mêmes à l’encontre desquels la révision de la constitution est proposée. Olivier Postel-Vinay Cet article est paru dans Libération le 5 janvier 2016.

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