À contre-courant
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Comment la barbarie a été inventée


Massacre de la Saint Barthélémy, François Dubois

La communauté internationale a unanimement qualifié l’attentat de Nice de  « barbare ». L’adjectif était attendu : il est devenu l’épithète incontournable pour caractériser un acte terroriste. L’association semble aller de soi. Elle n’est pourtant pas anodine. Au regard de l’évolution du terme « barbare » à travers les siècles, elle pourrait même être problématique.

A l’origine ce mot grec n’est pas connoté négativement, rappelle l’historien Russell Jacoby dans Les ressorts de la violence. Pour le Grec, le barbare est simplement celui qui n’est pas grec. Pourquoi alors ce terme renvoie-t-il aujourd’hui aux idées de cruauté et d’inhumanité ? Il s’agit là d’un apport datant de la découverte du Nouveau Monde.

Les barbares sont alors les Indiens d’Amérique. Dans le sens grec du terme, ils étaient des « autres » par rapport aux hommes de l’ancien continent. Mais a alors eu lieu un étrange renversement. La faute aux Européens et aux atrocités dont ils se sont rendu coupables en Amérique. Ils ont remis en cause tout ce qu’on pensait savoir sur la barbarie. Et pour certains philosophes et théologiens, les barbares étaient bien les colons. L’un des premiers à retourner le terme contre les Européens est le prêtre dominicain Bartolomé de La Casas au début du XVIe siècle. « Un barbare, au sens général du terme, écrit-il, est un homme cruel, inhumain, et sans pitié qui agit contre la raison de telle sorte qu’il devient insupportablement violent (…) Les Espagnols qui ont maltraité les Indiens sont des barbares, et pis que des barbares. » Mais, souligne Jacoby, ce sont les guerres de religions en France, et la cruauté des massacres qu’elles entrainent qui achèvent de bouleverser radicalement l’usage du mot. Le phénomène n’est plus distant ni dans le temps ni dans la géographie. Le barbare est le voisin, le frère. Il n’est pas l’autre mais le proche.

Cette proximité est aujourd’hui plus que jamais présente dans les actes terroristes, précise le professeur de sciences politiques Mark Salter, dans Barbarians & Civilisations in International Relations. Pourtant depuis les années 1990, la doctrine néoconservatrice et la théorie du « choc des civilisations » de Samuel Huntington font tout pour le nier. Selon elles, les barbares seraient différents de « nous » de par leur culture, leur civilisation. Le terrorisme ferait partie de leur identité, et si c’est là leur « nature », « nous » n’avons rien à comprendre, seulement à les combattre. Plaquer le mot « barbare » sur le terrorisme revient ainsi, selon Salter, à empêcher tout questionnement, notamment politique, sur ces actes.

 

 

 

LE LIVRE
LE LIVRE

Les ressorts de la violence de Russell Jacoby, Belfond, 2014

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