Le contrat de travail de l’employé idéal
La flexibilisation du contrat de travail est un des grands axes de la réforme du travail dont l’Assemblée nationale a entrepris lundi de discuter la loi d’habilitation.
L’idée d’un arrangement formel entre employeur et employé est très ancienne. Mais les accords de ce type conclus dès le Moyen-Âge ressemblent bien peu aux pratiques actuelles, rappelle la philosophe Elizabeth Anderson dans Private Government : How Employers Rule Our Lives (and Why We Don’t Talk About It). Avant la révolution industrielle, apprentis et compagnons se liaient pour plusieurs années au même employeur. Mais s’ils travaillaient pour lui, ils travaillaient surtout avec lui. Le maître réalisait souvent la même besogne qu’eux et à leur côté. De ce fait, leurs conditions de travail étaient alignées sur les siennes.
Quand au XVIIIe siècle, les penseurs libéraux anglo-saxons ont commencé à théoriser le marché, et notamment le marché du travail, ils ne l’imaginaient pas autrement. Le marché de John Locke, Adam Smith ou Thomas Paine devait lutter contre le féodalisme, les monopoles et toute forme de domination. Il était synonyme de liberté pour le travailleur idéal : l’artisan ou le fermier à son compte. Même la fameuse fabrique d’épingles d’Adam Smith est une toute petite structure où l’indépendance reste l’objectif de chaque employé. La révolution industrielle, et la vaste concentration de capitaux qu’elle a nécessité, a mis fin à ces rêves d’autonomie. Mais l’idée d’un marché du travail entre égaux est restée, comme si le monde était peuplé uniquement par les travailleurs indépendants modèles d’Adam Smith. Dans les conditions imposées par la société industrielle, assurer que l’employé est libre parce qu’il peut démissionner, soutient Elizabeth Anderson, c’est comme dire que Mussolini n’était pas un dictateur parce que les Italiens pouvaient émigrer.
A lire aussi: Le véritable leg d’Adam Smith, Books, avril 2011.