La fin du modèle allemand

Si l’Allemagne domine incontestablement le continent européen sur le plan économique, ses performances sont peut-être le chant du cygne d’une nation condamnée au déclin. Natalité en berne, stagnation du pouvoir d’achat, poids démesuré de l’industrie et infrastructures délabrées : les faiblesses structurelles de notre voisin, mises en exergue dans deux ouvrages récents, menacent à long terme son statut de grande puissance.

Depuis 2005, l’Allemagne moribonde du tournant du millénaire affiche une santé économique insolente. La crise de 2008, loin de casser cette relance, l’a rendue plus spectaculaire encore : alors que les autres pays européens vacillaient, le chômage était divisé par deux outre-Rhin et les excédents commerciaux y atteignaient des niveaux stratosphériques. Aujourd’hui encore, le pays exporte pratiquement autant que la Chine (dix-sept fois plus peuplée) et plus que les États-Unis. Ces performances hors-norme pourraient bien pourtant n’être que le chant du cygne d’une nation condamnée au déclin. De nombreux indicateurs (un taux de natalité parmi les plus bas au monde, notamment) laissent supposer que cette situation d’apesanteur ne durera pas, que l’ancien « homme malade » de l’Europe est tout proche d’une rechute. Pire, l’embellie des dernières années, si on la replace sur la plus longue durée, cache mal la stagnation profonde du pays. Dans l’article qui ouvre ce dossier, Philippe Legrain, l’ancien conseiller anglais de Manuel Barroso, démystifie ce que d’aucuns ont qualifié de « second miracle économique » allemand. Cet examen sans concession n’est du reste pas l’apanage d’étrangers jaloux d’un modèle qui n’est pas le leur. En Allemagne même, l’automne 2014 a vu paraître, coup sur coup, deux ouvrages aux titres sans équivoque : « L’illusion allemande » et « La bulle allemande ». Nous avons interviewé l’auteur du second, Olaf Gersemann, qui dirige les pages économiques du quotidien Die Welt. À l’unisson de Legrain, il souligne en outre d’autres faiblesses de son pays : par exemple le poids disproportionné du secteur automobile dans le PIB. L’autosatisfaction de ses compatriotes le laisse perplexe. Car enfin, à quoi bon tous ces excédents commerciaux ? Dans un autre entretien, l’anthropologue Emmanuel Todd propose une explication : ils permettent à l’Allemagne de dominer l’Europe. Pour lui, jauger la réussite allemande à l’aune de critères strictement libéraux comme le fait Legrain, c’est ne rien comprendre aux spécificités d’un pays qui obéit à d’autres impératifs que le monde « atlantique ». L’objectif premier de l’Allemagne n’est pas le « bien-être », mais la « puissance ».   Dans ce dossier:

Pour aller plus loin

Jean-Michel Quatrepoint, Le Choc des empires. États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l’économie-monde ?, Gallimard, 2014. Un ouvrage qui constate notamment la mainmise allemande sur l’Europe. Par un ancien journaliste du Monde.

François Roche, Un voyage en Allemagne, Le Passeur, 2014. Une exploration du pays et de tous ses particularismes, entre description et analyse, rencontres et anecdotes.

Emmanuel Todd, La Diversité du monde. Famille et modernité, Le Seuil, 1999. Regroupe deux ouvrages parus en 1983 et 1984, mais qui n’ont pas pris une ride. Todd y montre notamment le dynamisme de la famille « souche » allemande.

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