Eloge de la hiérarchie

Le management dernier cri entend effacer les relations hiérarchiques. Tous les salariés (patrons compris) deviennent plus ou moins des égaux. Le sociologue américain Richard Sennett n’y croit pas du tout. Son livre intitulé Ensemble est pourtant un plaidoyer pour la coopération.
Mais selon lui, « l’utilité est le projet politique de notre temps ». Face à la machine économique en panne, les gens ont besoin de sens. Des ouvriers qualifiés touchés de plein fouet par les délocalisations aux cols blancs de Wall Street licenciés en masse en 2008, Sennett montre que la crise a révélé une transformation amorcée depuis longtemps dans nos manières de travailler : la tertiarisation de l’économie a précipité le déclin des formes anciennes de sociabilité entre collègues et distendu les « liens informels ».

Il assure que jusqu’à récemment le lieu de travail était un exemple de machine sociale bien huilée. Evidemment, le travail pouvait être ingrat, difficile, répétitif et même dangereux ; les patrons étaient brutaux. Mais, patrons, travailleurs et syndicalistes se respectaient mutuellement. Et en cas de coup dur, chacun savait se montrer solidaire. « Un tel triangle social ne transforme pas le travail en paradis, écrit Sennett, mais il transforme l’expérience en quelque chose de plus que sans âme, il créé de la civilité. »

Le sociologue invite donc à renouer avec le sens de la communauté. Pour lui, l’unique coopération intéressante est celle qui est difficile, celle qui conduit à se confronter à des personnes qui ont des opinions différentes, qui mettent mal à l’aise, qui ne sont pas égaux. Il y voit un authentique savoir-faire, exigeant patience et entrainement.