Et le voyage bouscula la littérature
Publié le 28 juillet 2016. Par La rédaction de Books.
Carl Spitzweg, Engländer in der Campagna
Au tournant du XVIIIe siècle, le voyage devient peu à peu agrément. Avec des transports plus pratiques, et un monde très largement connu, il n’est plus synonyme d’aventure. Il peut dépasser sa vocation utilitaire (aller d’un point à un autre pour faire une étude, du commerce…) et devenir un plaisir oisif propice à la réflexion et à l’écriture. C’est la naissance de la promenade, célébrée par Rousseau. Dans Quand le voyage devient promenade, Philippe Antoine souligne la façon dont cette pratique s’est reflétée dans la littérature. Le voyage n’est plus uniquement mis en mots dans des écrits encyclopédiques, fruits des observations de marins, d’explorateurs ou de scientifiques. Les écrivains, au premier rang desquels Chateaubriand avec Itinéraire de Paris à Jérusalem, Stendhal avec Mémoires d’un touriste ou Victor Hugo avec Le Rhin, se l’approprient. Et ils quittent le registre savant pour faire du récit de voyage une expérience subjective et littéraire.
« Que le livre de voyage soit signé par un écrivain reconnu implique un déplacement du centre d’intérêt : le lecteur sera plus enclin, peut-être, à goûter la magie d’un style que la saveur de l’inconnu. », écrit Antoine. Pour allier littérature et authenticité, les écrivains voyageurs jouent alors sur la frontière entre description et fiction. Leur défi majeur est de « camoufler les secrets de fabrication du livre et sa façon afin d’entretenir l’illusion que le voyage est le compte rendu fidèle de l’expérience ». Ils usent alors de stratégie. Bien qu’assumant le plus souvent le rôle de narrateur et leur statut d’écrivain, ils prétendent souvent « ne pas écrire », mais ne présenter qu’une collection de notes ou un travail inachevé. Ils inventent pour cela un nouveau style d’écriture, plus libre. La phrase s’adapte au rythme des pas du voyageur. Son propos est libéré de tout ce qui pourrait le contraindre. Au gré des déambulations, des événements, ou de l’humeur, il se promène.
A lire aussi : Le festival des faux voyageurs, Books, juin 2016; et Un très étonnant voyageur, booksletter, mai 2015.