French seduction

« En français, on peut être séduit par un fromage », constate le Parisien Stephen Clarke en rendant compte du livre d’Elaine Sciolino dans le New York Times. En anglais, le mot « séduction » existe, mais désigne seulement le fait de baratiner quelqu’un pour l’amener dans son lit. Les Français, eux, lui donnent le plus souvent une connotation positive et l’appliquent à tant de situations qu’il en devient un trait national, guère transposable dans une autre culture…

« En français, on peut être séduit par un fromage », constate le Parisien Stephen Clarke en rendant compte du livre d’Elaine Sciolino dans le New York Times. En anglais, le mot « séduction » existe, mais désigne seulement le fait de baratiner quelqu’un pour l’amener dans son lit. Les Français, eux, lui donnent le plus souvent une connotation positive et l’appliquent à tant de situations qu’il en devient un trait national, guère transposable dans une autre culture. À lire Sciolino, « les Français croient dans le droit au plaisir ». Sa poursuite serait même « l’idéologie non officielle du pays, un principe directeur codifié dans des rites et des comportements de la vie quotidienne si fortement ancrés qu’ils en sont habituels ». Un chapitre de son livre s’intitule « L’orgasme gastronomique ». Elaine Sciolino a été correspondante de Newsweek à Paris avant d’y être nommée, en 2002, chef du bureau du New York Times. La recevant à l’Élysée, Jacques Chirac lui fit un baisemain appuyé, peu orthodoxe. Elle se fit expliquer après coup les règles du baisemain par Maurice Lévy, le patron de Publicis : les lèvres ne doivent pas effleurer la main. « Effleurer » : encore un mot bien français. Pour mener son enquête, Elaine Sciolino s’est concentrée sur le gratin de la société française, que son métier l’a conduite à bien connaître. Dans cette couche sociale, on ne dit pas « bon appétit » au début d’un repas, car « la référence au corps serait trop directe ».

« La séduction c’est la civilisation »

Elle a écrit son livre avant l’affaire Strauss-Kahn. Elle y parle beaucoup des hommes politiques, presque tous de « grands séducteurs », dit-elle. Elle a vu Giscard caresser le dos d’une journaliste en lui disant au revoir après une interview. Sarkozy souffre d’un handicap à cet égard, selon elle : il n’a pas l’art et la manière. L’épouse d’un homme politique « accepte que le mâle dominant se fasse plaisir », écrit Stephen Clarke. Sciolino cite Anne Sinclair : « C’est important de séduire, pour un homme politique. » Élargissant son propos à l’ensemble de la bonne société, elle évoque « les dix-sept règles qu’un homme marié doit suivre pour entretenir une liaison », note Stephen Clarke. Comme mentir intelligemment ou ne jamais tomber amoureux. Sciolino analyse aussi les différences d’attitude des femmes à l’égard de l’adultère masculin. Aux États-Unis, c’est un péché ; en France, assure-t-elle, c’est simplement un fait et l’épouse accepte que ce soit là, « peut-être, simplement la façon d’être de son mari ». Toujours dans le New York Times, Caroline Weber, auteur d’un livre sur Marie-Antoinette « reine de la mode », juge significatif le discours tenu à Sciolino par Inès de la Fressange (mère de deux filles). En substance : vous pouvez choisir de rester fidèle à votre mari au lieu de prendre un amant, mais vous ne devriez pas. « Vous avez votre assise en tant que couple, une histoire commune, un mariage. Vous avez construit quelque chose dont vous pouvez être fière, et ce n’est pas cette petite histoire d’amour à Paris qui va le détruire. » Bernard-Henri Lévy, « qui a créé son propre style » de séducteur (note Caroline Weber), en prend pour son grade quand il déclare à Sciolino : « La séduction c’est la civilisation. Ce qui sépare l’homme des animaux, c’est la séduction. » Il n’a jamais dû observer les pigeons dans la rue, remarque Stephen Clarke. Mais il doit tout de même y avoir quelque chose de vrai dans la formule, car selon Jacques Séguéla, grand maître de la communication, « la vraie séduction, finalement, est dans les mots ». Elaine Sciolino a aussi été correspondante de guerre. Elle a écrit un livre sur l’Irak et un autre sur l’Iran. La géopolitique reste présente à son esprit : la séduction « est une stratégie essentielle pour permettre à la France de survivre comme pays d’influence ». Dont acte.
LE LIVRE
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La séduction de Elaine Sciolino, Times Books

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