Chère Simone

Simone de Beauvoir est de ceux qui ont refusé de signer la pétition contre l’exécution de l’écrivain pronazi Robert Brasillach en 1945. Elle s’en est expliquée dans La Force des choses : « Par métier, par vocation, j’accorde une énorme importance aux paroles […]. Il y a des mots aussi meurtriers qu’une chambre à gaz. » À propos de paroles, elle avait réalisé des émissions littéraires pour Radio Vichy au printemps 1944. Son roman L’Invitée avait été publié chez Gallimard en 1943, avec l’accord de la censure allemande. Celle-ci s’exerçait notamment par le biais d’une commission chargée d’attribuer le papier nécessaire à l’impression. Dans cette commission œuvraient Marguerite Duras et son amant Dionys Mascolo, qui y représentait les intérêts de Gallimard. Beauvoir vivait avec Sartre, dont les œuvres avaient aussi été approuvées par la censure, les pièces jouées sans acteurs juifs, car interdits de scène, et applaudies par les officiels allemands. Sartre, le futur prosélyte de l’« engagement » et auteur de La Question juive, avait pris tranquillement la place d’un professeur juif révoqué au lycée Condorcet.
Soixante-cinq ans après, il est facile, mais pas interdit, de s’indigner. Comme l’illustrent deux livres récents, Des gens très bien, d’Alexandre Jardin, et 20 minutes pour la mort. Robert Brasillach, le procès expédié, de Philippe Bilger, le sujet du « qui a fait quoi » pendant cette période exceptionnelle continue de travailler les esprits. Surtout lorsqu’il s’agit d’écrivains et d’artistes, censés incarner les plus hautes réalisations du génie humain. Il intéresse autant à l’étranger qu’en France, ce qui témoigne de son universalité. Les problèmes moraux soulevés par la diversité des attitudes et des comportements et leur évolution au cours de l’Occupation et après sont en effet aussi fondamentaux que ceux traités par les tragiques grecs, Shakespeare ou Soljenitsyne. L’intérêt du sujet vient aussi du caractère unique de l’expérience. En raison de la brillance des acteurs, de ce que représentait Paris aux yeux du monde, des moyens d’expression disponibles et de la richesse des archives, aucun épisode de l’histoire humaine ne concentre une telle densité d’information sur la question du bien et du mal.

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