Hitler, l’homme
Publié dans le magazine Books n° 51, février 2014. Par Books.
« Si l’on retranche tout ce qui touche à la politique chez lui », expliquait l’historien Ian Kershaw lors de la parution du premier volume de sa célèbre biographie d’Hitler en 1998, « il ne reste pratiquement rien. C’est en quelque sorte une coquille vide. » Pas si vide, en réalité. Le vide apparent tient pour une bonne part à l’obstination avec laquelle le Führer, jusqu’à la veille de sa mort, a éliminé les traces de son passé, et avec laquelle il s’est forgé, épaulé par Goebbels, l’image d’un homme sans vie privée. Ce « vide » a été fabriqué de toutes pièces, soutient l’historien allemand Volker Ullrich, dont le premier volume d’une nouvelle biographie fleuve vient de paraître en Allemagne. S’appuyant sur des archives récemment découvertes et une relecture des témoignages déjà connus, Ullrich entend cerner l’homme derrière le politique.
Hitler était fou, mais le mot est vague, et pour ceux qui ne partageaient pas sa folie et l’ont rencontré ou côtoyé, il ne le paraissait guère. Un homme « simple, doux, presque timide, à la voix chaleureuse », découvre un ambassadeur de France. Un petit bourgeois insipide, jugent certains. Poli, discret, aimant les enfants et la vie de famille (celle d’autrui), mais aussi capable de déployer un « charme envoûtant » et même d’amuser. Un amant prudent (pour le moins), mais fidèle, allant jusqu’à organiser son mariage avant son suicide à deux. Un gros travailleur, pourvu d’une mémoire impressionnante, qui préparait à fond ses discours, y compris les plus échevelés. Un psychologue hors pair, qui sondait les cœurs, capable de retourner n’importe quelle assemblée et passé maître dans l’art d’exploiter les points faibles de chacun, de diviser et corrompre pour régner. Un être fondamentalement double, sûr de son talent, qui se décrivit un jour comme « le plus grand acteur d’Europe ». Proprement diabolique.
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