Jarry, vraiment hénaurme

Ses journées s’écoulaient au rythme des absinthes, il parlait à la manière saccadée d’Ubu et vivait au milieu des hiboux et des fientes qui vont avec. Par ses excès, la vie surréaliste d’Alfred Jarry a parfois semblé masquer l’œuvre. Mais la première était un élément de la seconde, l’une et l’autre entièrement dédiées à cette « science des solutions imaginaires » qui allait influencer Breton, Picasso ou Perec.

Dans sa célèbre lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, Arthur Rimbaud affirme qu’un poète ne peut se faire « voyant » que « par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». La première publication de cette lettre date de 1912. Il est donc impossible qu’Alfred Jarry l’ait lue, puisqu’il était mort cinq ans plus tôt, à l’âge de 34 ans, d’un mélange de tuberculose, de pauvreté et d’alcoolisme. Mais il aurait sans nul doute approuvé Rimbaud sur les moyens de parvenir à l’état de « voyant ». Voici comment son amie Rachilde, femme de lettres et mémorialiste, décrivait une journée typique dans la vie de Jarry : [Il] commençait […] par absorber deux litres de vin blanc, trois absinthes s’espaçaient entre dix heures et midi, puis au déjeuner il arrosait son poisson ou son bifteck de vin rouge ou vin blanc alternant avec d’autres absinthes. Dans l’après-midi, quelques tasses de café additionnées de marcs ou d’alcools dont j’oublie les noms, puis au dîner, après, bien entendu, d’autres apéritifs, il pouvait encore supporter au moins deux ...
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Alfred Jarry : une vie pataphysique de Jarry, vraiment hénaurme, MIT Press

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