Kissinger l’idéaliste

Le nouveau livre de l’historien Niall Ferguson est à l’image de son sujet : controversé. Premier volet d’une biographie annoncée en deux parties, il couvre les années de formation de Kissinger, jusqu’à sa nomination comme conseiller de Nixon. L’ouvrage interpelle dès le sous-titre, qualifiant d’« idéaliste » un homme dont le nom est pour beaucoup synonyme de realpolitik, voire de ­cynisme. D’autant que l’auteur agit ici en biographe autorisé – en hagiographe, disent ses détracteurs. Ces derniers lui reconnaissent pourtant certains mérites. « Ferguson a eu un accès privilégié aux archives privées de Kissinger, ce qui lui permet de révéler de nouveaux documents passionnants », note David Milne dans The Nation. Parmi ceux-ci, un brouillon de discours que Kissinger rédigea pour le gouverneur Nelson Rockefeller en 1963. Le jeune conseiller y condamnait l’assassinat de l’autocrate sud-vietnamien Ngô Dinh Diêm : « Le gouvernement d’un pays allié […] a été renversé par un coup d’État militaire encouragé par notre administration […]. Je regrette de voir mon pays associé à l’idée d’un usage cynique du pouvoir. Notre force réside dans les principes, non dans la manipulation. » Venant d’un homme réputé avoir précipité la chute de Salvador Allende au Chili, le propos ne manque pas de sel. Mais Ferguson ne va pas jusqu’à y voir la preuve de l’attachement originel de Kissinger à un idéalisme wilsonien, soucieux de l’indépendance des nations. Il considère Kissinger comme un idéaliste « au sens philosophique du terme », citant le mémoire de fin d’études dans lequel le futur secrétaire d’État analysait la pensée kantienne. On y lit que « la liberté est […] une expérience intime de la vie comme processus de décision ». Pour Kissinger, « choisir entre un grand et un moindre mal était un acte éminemment moral », assure Ferguson. Mais, « si Kissinger est vraiment un idéaliste kantien, il doit adhérer à l’idée selon laquelle le but caché de l’histoire est de conduire l’humanité vers une communauté d’États républicains soumis à des lois, rétorque avec ironie, dans le New Statesman, le politologue Alan Ryan. Comment les activités qui l’ont fait accuser par certains de crimes contre l’humanité peuvent s’insérer dans ce portrait apaisant, nous le découvrirons sans doute dans le volume 2. »
LE LIVRE
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Kissinger. 1923-1968 : l’idéaliste de Niall Ferguson

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