Publié dans le magazine Books n° 76, mai 2016. Par Tom Crewe.
Entre 1920 et la fin des années 1960, la vie quotidienne des Britanniques a été rythmée par la fréquentation des dancings, ces « palais de danse » dont le décor luxueux faisait rêver les hommes et les femmes des milieux populaires, qui venaient là chercher l’âme sœur et un divertissement bon marché. Dans les années 1950, ces lieux faisaient 200 millions d’entrées par an !
C’est à l’occasion d’un bal donné à l’hôtel de ville de Middlesbrough que Maureen et Keith se sont rencontrés, un soir de 1955. Ils avaient tous les deux une petite vingtaine d’années ; elle était infirmière, lui travaillait dans la marine marchande. La semaine précédente – Maureen allait danser chaque semaine, sauf quand elle était de garde –, un homme l’avait suivie à la descente du bus et l’avait traquée jusqu’à chez elle, s’attardant même devant sa porte pendant qu’elle ôtait ses chaussures dans l’entrée. C’est avec cet incident à l’esprit qu’elle avait accordé sa dernière danse à Keith, sachant qu’il serait obligé de la raccompagner (elle avait écarté un cavalier beaucoup plus petit, ne voulant pas d’un type « qui a le nez dans votre soutien-gorge »). Prendre pour cerbère un parfait étranger aurait dû paraître risqué, mais ce n’était pas le cas, puisque Maureen était entourée d’autres couples formés tout aussi instinctivement, tous réunis sous le lent tournoiement de la boule à facettes. Un peu plus tard, parvenue saine et sauve sur le seuil de sa porte, Maureen ...