La saga du baclofène (3) : le vent tourne

En juin 2011, l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) rend un avis négatif sur l’efficacité du baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance. Cette mise en garde se fondait sur les conclusions d’experts dont certains avaient partie liée avec des firmes commercialisant des produits concurrents. Il faudra attendre près de dix mois pour que l’agence, mise sous pression par des courriers répétés du professeur Granger, rende un avis plus conforme à ce qu’on sait de l’efficacité du nouveau médicament.

En juin 2011, l’Afssaps avait rendu un avis sur l’utilisation du baclofène chez les alcoolo-dépendants, appelé « mise en garde », insistant sur l’absence de données concernant l’efficacité du baclofène et sur les dangers liés à sa prescription : « Le bénéfice du baclofène dans l’alcoolo-dépendance n’est pas démontré à ce jour et les données de sécurité d’emploi dans cette indication, où les doses utilisées sont le plus souvent supérieures à celles évaluées et autorisées, sont limitées. » Cette mise en garde a dissuadé un très grand nombre de médecins de prescrire le baclofène, et les opposants au baclofène, dont les ténors, paradoxalement, se recrutent surtout dans le monde de l’addictologie, l’ont brandie pour justifier leur refus de prescription. Dès juin 2011, j’ai écrit au directeur général de l’Afssaps avec copie au cabinet du ministre de la santé, pour protester contre cette mise en garde qui ne me semblait pas correspondre aux données acquises de la science. Par ailleurs, elle avait été établie à la suite d’une réunion « d’experts » parmi lesquels certains avaient des liens d’intérêt avec les firmes commercialisant ou devant commercialiser des produits concurrents, dont l’efficacité est d’ailleurs relativement réduite (acamprosate, naltrexone, nalméfène). En réponse à ce courrier, qui n’a jamais été rendu public, l’Afssaps s’était engagée d’une part à faciliter une étude de cohorte, d’autre part de faire le point avec le service de déontologie de l’agence sur les conflits d’intérêts des experts dont elle avait recueilli l’avis. Rien n’a été fait sur ces deux points. J’ai écrit au professeur Philippe Lechat, en charge du dossier à l’Afssaps, avec double au professeur Dominique Maraninchi, directeur général de l’agence, et au cabinet du ministre de la santé, le 21 septembre, ayant laissé passer les vacances comme cela m’avait été demandé. Le 28 septembre 2011, le professeur Philippe Lechat me répondait qu’il allait attendre « la fin du débat parlementaire sur la nouvelle loi qui se déroule ces jours-ci à l’Assemblée nationale ». Ne voyant toujours rien venir, et la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ayant été votée le 19 décembre 2011, j’ai à nouveau écrit le 18 janvier 2012, puis encore le 2 mars 2012. En réponse, j’ai reçu une lettre du professeur Lechat datée du 23 mars me donnant des éléments d’information parfaitement connus et ne répondant pas à la question qui était posée à l’agence, à savoir réactualiser la mise en garde de juin 2011. Le professeur Lechat écrivait notamment : « Depuis la réunion d’experts de 2011, aucune donnée issue d’une étude clinique de qualité scientifique incontestable n’a été publiée. En revanche, l’Afssaps soutient la mise en place d’un essai clinique. […] Ainsi, nous souhaitons vous rassurer quant à l’intérêt constant que porte l’Afssaps au baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance en restant vigilant, afin de répondre à l’attente des patients et d’assurer au mieux leur sécurité. » Devant cette inertie teintée de mauvaise foi, déplorant surtout que les nombreux et incontestables témoignages d’efficacité du baclofène portés par les patients et les médecins prescripteurs soient ignorés, j’ai écrit le 28 mars 2012 une lettre beaucoup plus vigoureuse à l’égard du ministère de la santé et de l’Afssaps. Le soir même, le professeur Lechat y répondait, d’un point de vue purement règlementaire, expliquant en substance que l’Afssaps ne pouvait pas faire grand-chose tant qu’un laboratoire ne demandait pas d’extension d’autorisation de mise sur le marché pour le baclofène dans l’alcoolo-dépendance. En réponse, une deuxième lettre datée du 30 mars, dans laquelle je déplorais que l’Afssaps ne soit finalement qu’un « effecteur au service de l’industrie », a enfin fait réagir le ministère de la santé et le secrétaire général de l’agence, lequel s’est engagé à actualiser très rapidement le texte de juin 2011. Cette correspondance, rendue publique au fur et à mesure de son déroulement, se trouve sur le site atoute.org (p. 1 et 2), Il aura donc fallu menacer publiquement de poursuites pénales le ministre de la santé et le directeur général de l’Afssaps pour avoir enfin la réaction qui était demandée depuis juin 2011. Plusieurs organes de presse annonçaient alors le développement d’un scandale pire que celui du Médiator (voir Paris Match et Slate). Ces circonstances expliquent que le nouveau texte de l’Afssaps mis en ligne le 24 avril 2012 soit beaucoup plus positif à l’égard du baclofène. Il reconnaît son utilité chez « certains patients » (sic) et rappelle que les données de pharmacovigilance sont plutôt rassurantes. Cette nouvelle mise au point paraît beaucoup plus fidèle aux données actuelles de la science et aurait tout à fait pu être faite dès juin 2011, car les données complémentaires acquises depuis ne font que confirmer ce que l’on savait déjà à cette date, même si une publication récente dans la revue Alcohol and Alcoholism peut servir de prétexte à cet aggiornamento. En effet, une étude observationnelle à peu près comparable et due à Ameisen et Beaurepaire était déjà disponible en 2010, et les données de pharmacovigilance pour un produit utilisé depuis des décennies, y compris à fortes doses par les neurologues, étaient déjà rassurantes. Salué immédiatement par la presse comme un feu vert donné par l’Afssaps à l’utilisation du baclofène, ce revirement de situation est une bonne nouvelle pour l’ensemble des patients alcoolo-dépendants qui souhaitent être traités par cette molécule particulièrement efficace, et qui trop souvent encore se voient opposer un refus de la part des prescripteurs potentiels. L’Afssaps précise dans sa mise au point que « la prise en charge de l’alcoolo-dépendance implique une approche globale par des médecins expérimentés dans le suivi de ce type de patients dépendants ». Ces termes vagues et pour tout dire diplomatiques (Quelle approche médicale ne serait-elle pas globale ? Quel médecin ne se croit-il pas expérimenté après dix ans d’études et quelques années de pratique ?) laissent une grande liberté d’interprétation et facilitent de fait une large prescription du baclofène. C’est heureux. Merci l’Afssaps ! Bernard Granger  

Retrouvez tous les articles de cette série consacrée au baclofène

1. La saga du baclofène (1). 2. La saga du baclofène (2). 3. Le vent tourne. 4. La servilité du Quotidien du médecin. 5. Deux livres, un même message d'espoir. 6. Le legs d'Olivier Ameisein 7. L'efficacité du médicament confirmée.  

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