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La véritable énigme du Capitaine Kidd


Crédit: Howard Pyle

Ce n’était pas le trésor du Capitaine Kidd. Le lingot remonté des eaux de l’île Sainte-Marie, à l’est de Madagascar, par l’explorateur américain Barry Clifford n’était pas d’argent mais de plomb. L’Unesco a tranché : il n’y a ni trésor, ni épave de l’Adventure-Galley, le bateau du célèbre pirate. Le butin du capitaine Kidd n’est pas perdu pour tout le monde. Les héros du Scarabée d’or d’Edgar Allan Poe sont sur le point de le découvrir.

— Vous avez entendu parler peut-être d’un certain capitaine Kidd. Je considérai tout de suite la figure de cet animal comme une espèce de signature logogriphique ou hiéroglyphique (kid, chevreau). Je dis signature, parce que la place qu’elle occupait sur le vélin suggérait naturellement cette idée. Quant à la tête de mort placée au coin diagonalement opposé, elle avait l’air d’un sceau, d’une estampille. Mais je fus cruellement déconcerté par l’absence du reste, — du corps même de mon document rêvé, — du texte de mon contexte.

— Je présume que vous espériez trouver une lettre entre le timbre et la signature.

— Quelque chose comme cela. Le fait est que je me sentais comme irrésistiblement pénétré du pressentiment d’une immense bonne fortune imminente. Pourquoi ? je ne saurais trop le dire. Après tout, peut-être était-ce plutôt un désir qu’une croyance positive ; — mais croiriez-vous que le dire absurde de Jupiter, que le scarabée était en or massif, a eu une influence remarquable sur mon imagination ? Et puis cette série d’accidents et de coïncidences était vraiment si extraordinaire ! Avez-vous remarqué tout ce qu’il y a de fortuit là-dedans ? Il a fallu que tous ces événements arrivassent le seul jour de toute l’année où il a fait, où il a pu faire assez froid pour nécessiter du feu ; et, sans ce feu et sans l’intervention du chien au moment précis où il a paru, je n’aurais jamais eu connaissance de la tête de mort et n’aurais jamais possédé ce trésor.

— Allez, allez, — je suis sur des charbons.

— Eh bien, vous avez donc connaissance d’une foule d’histoires qui courent, de mille rumeurs vagues relatives aux trésors enfouis quelque part sur la côte de l’Atlantique, par Kidd et ses associés ? En somme, tous ces bruits devaient avoir quelque fondement. Et si ces bruits duraient depuis si longtemps et avec tant de persistance, cela ne pouvait, selon moi, tenir qu’à un fait, c’est que le trésor enfoui était resté enfoui. Si Kidd avait caché son butin pendant un certain temps et l’avait ensuite repris, ces rumeurs ne seraient pas sans doute venues jusqu’à nous sous leur forme actuelle et invariable. Remarquez que les histoires en question roulent toujours sur des chercheurs et jamais sur des trouveurs de trésors. Si le pirate avait repris son argent, l’affaire en serait restée là. Il me semblait que quelque accident, par exemple la perte de la note qui indiquait l’endroit précis, avait dû le priver des moyens de le recouvrer. Je supposais que cet accident était arrivé à la connaissance de ses compagnons, qui autrement n’auraient jamais su qu’un trésor avait été enfoui, et qui, par leurs recherches infructueuses, sans guide et sans notes positives, avaient donné naissance à cette rumeur universelle et à ces légendes aujourd’hui si communes. Avez-vous jamais entendu parler d’un trésor important qu’on aurait déterré sur la côte ?

— Jamais.

— Or, il est notoire que Kidd avait accumulé d’immenses richesses. Je considérais donc comme chose sûre que la terre les gardait encore ; et vous ne vous étonnerez pas quand je vous dirai que je sentais en moi une espérance, — une espérance qui montait presque à la certitude ; — c’est que le parchemin, si singulièrement trouvé, contiendrait l’indication disparue du lieu où avait été fait le dépôt.

— Mais comment avez-vous procédé ?

— J’exposai de nouveau le vélin au feu, après avoir augmenté la chaleur ; mais rien ne parut. Je pensai que la couche de crasse pouvait bien être pour quelque chose dans cet insuccès ; aussi je nettoyai soigneusement le parchemin en versant de l’eau chaude dessus, puis je le plaçai dans une casserole de fer-blanc, le crâne en dessous, et je posai la casserole sur un réchaud de charbons allumés. Au bout de quelques minutes, la casserole étant parfaitement chauffée, je retirai la bande de vélin, et je m’aperçus, avec une joie inexprimable, qu’elle était mouchetée en plusieurs endroits de signes qui ressemblaient à des chiffres rangés en lignes. Je replaçai la chose dans la casserole, je l’y laissai encore une minute, et, quand je l’en retirai, elle était juste comme vous allez la voir.

Ici, Legrand, ayant de nouveau chauffé le vélin, le soumit à mon examen. Les caractères suivants apparaissaient en rouge, grossièrement tracés entre la tête de mort et le chevreau.

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— Mais, dis-je, en lui tendant la bande de vélin, — je n’y vois pas plus clair. Si tous les trésors de Golconde devaient être pour moi le prix de la solution de cette énigme, je serais parfaitement sûr de ne pas les gagner.

— Et cependant, dit Legrand, la solution n’est certainement pas aussi difficile qu’on se l’imaginerait au premier coup d’œil. Ces caractères, comme chacun pourrait le deviner facilement, forment un chiffre, c’est-à-dire qu’ils présentent un sens ; mais, d’après ce que nous savons de Kidd, je ne devais pas le supposer capable de fabriquer un échantillon de cryptographie bien abstruse. Je jugeai donc tout d’abord que celui-ci était d’une espèce simple, — tel cependant qu’à l’intelligence grossière du marin il dût paraître absolument insoluble sans la clef.

— Et vous l’avez résolu, vraiment ?

— Très aisément ; j’en ai résolu d’autres dix mille fois plus compliqués. Les circonstances et une certaine inclination d’esprit m’ont amené à prendre intérêt à ces sortes d’énigmes, et il est vraiment douteux que l’ingéniosité humaine puisse créer une énigme de ce genre dont l’ingéniosité humaine ne vienne à bout par une application suffisante. Aussi, une fois que j’eus réussi à établir une série de caractères lisibles, je daignai à peine songer à la difficulté d’en dégager la signification.

LE LIVRE
LE LIVRE

Le scarabée d’or et autres histoires de Edgar Allan Poe, Le Livre de Poche, 2012

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