Sérendipité VS. algorithmes

Quel rapport entre la pénicilline, le Velcro, le nettoyage à sec, le Viagra, le LSD ou les rayons X ? Toutes ces découvertes sont dues au hasard. Ce hasard heureux, pour lequel les Anglais nous ont donné un mot, tiré d’un conte persan : sérendipité. C’est-à-dire, selon Horace Walpole, l’écrivain anglais qui a forgé le terme, le fait de « découvrir ce qu’on ne cherche pas ». Le hasard, il est vrai, fait souvent bien les choses, et pas seulement dans les laboratoires. N’est-ce pas lui qui, sur les bancs des jardins publics, des bibliothèques, ou les rayons des librairies, provoque la rencontre amoureuse ou intellectuelle qui changera une destinée ? Mais, comme tout le reste, le hasard a besoin de stimulation. Pasteur, qui ne se berçait pas d’illusions, disait que « dans les champs de l’observation le hasard ne sourit qu’aux esprits préparés ». En dehors du domaine scientifique, ce qui nourrit la chance, c’est la multiplication des occasions favorables. C’est l’avantage des villes ou des salons, des boîtes de nuit, des congrès, des librairies… Et évidemment d’Internet, où le surfeur accumule plus ou moins au hasard découvertes, rencontres, lectures, souvent heureuses et fortuites. En théorie, du moins. Car beaucoup pensent au contraire que le Web, par sa profusion même, est l’ennemi de la sérendipité. Submergés de données, les internautes ont en effet pris la vilaine habitude de sous-traiter à des tiers la sélection de ce que leur offre la Toile, avec effets pervers à la clé. Fatalité ? Pas vraiment. Prenez l’exemple de la lecture. Flâner dans les rayons d’une librairie, recueillir des avis, tomber sur un livre par hasard – Internet n’a pas tué tout cela. Au contraire, le Web fourmille de conseils – blogs, forums, clubs virtuels de lecture, Goodreads, recommandations des uns ou des autres. Mieux encore, il propose aussi pléthore de sites qui proclament respecter la « nécessité du hasard », en littérature comme ailleurs, et suggèrent des livres (whichbook.com ), des chansons (readwrite.com), des restaurants (urbanspoon.com), ou même d’autres sites (stumbleupon.com), en toute indépendance commerciale. C’est à l’internaute de choisir : perméabilité aux incitations des vendeurs, ou soumission aveugle au hasard. Lequel ressuscite dès que l’on efface les traces de nos recherches précédentes, ou lorsqu’on s’en remet à des sites comme duckduckgo.com, qui ignorent notre « historique ». Ce qu’une technologie endommage, une autre technologie peut le réparer.

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