Le revenant

Pour beaucoup, reparler de Mein Kampf aujourd’hui relève d’une complaisance coupable. Ce livre odieux ne mérite que l’oubli. « À la trappe ! » aurait dit le père Ubu. Ce point de vue mérite le respect mais ne résiste pas à l’examen. À cela plusieurs raisons. La première est l’intérêt soudain que suscite à nouveau le manifeste d’Hitler dans son pays d’origine, où il fut un formidable best-seller. L’ouvrage étant tombé dans le domaine public, des historiens peu suspects de sympathie pour le nazisme s’en sont emparés pour en publier la première édition critique. Un travail majeur, dans lequel le texte du futur Führer est exposé en regard de notes qui en débusquent les contre-vérités et en analysent les tenants et aboutissants. Une édition du même type est annoncée en France. Au-delà de cette actualité européenne, il est une réalité moins connue et plus préoccupante : Mein Kampf est un best-seller mondial. Comme d’ailleurs les fameux Protocoles des Sages de Sion, ce faux antisémite qui avait inspiré Hitler, Mein Kampf se vend en pile dans les librairies de la plupart des pays arabes et musulmans, jusqu’en Indonésie et au Bangladesh, en passant par l’Iran et la Turquie. Il est aussi un best-seller en Inde, non pour son antisémitisme mais parce qu’il rencontre les aspirations du nationalisme hindou. Mein Kampf est disponible dans toutes les langues du sous-continent et la figure du Führer est tellement populaire qu’elle est la marque d’un marchand de glaces et qu’Hitler est devenu un prénom. Le livre se retrouve sur la table de chevet de tueurs de masse. Souvent diffusé par des sites favorables à son contenu, il circule aussi abondamment sur la Toile, dans à peu près toutes les langues et sous des formes diverses, sans contrôle ni avertissement. Ces dernières années, des centaines de milliers d’exemplaires de sa version e-book ont été téléchargés. Mein Kampf n’est donc pas seulement un objet de grand intérêt historique. C’est un livre d’actualité, un acteur du monde contemporain. L’ignorer, c’est comme ignorer les textes de propagande de Daech : se cacher la tête sous l’aile.  

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