Les funérailles, ancêtres de la manif
Publié le 26 mai 2016. Par La rédaction de Books.
Les manifestants contre la loi travail ont emprunté ce jeudi un parcours désormais classique entre les places de la Bastille et de la Nation. Un itinéraire inauguré au XIXe siècle, quand l’appropriation des boulevards parisiens par les contestataires a donné naissance à la manifestation moderne. Emmanuel Fureix raconte les circonstances qui ont présidé à ce bouleversement dans La France des larmes.
« Lieu de circulation ou de flânerie, les boulevards ne constituent pas un espace « naturel » du politique », écrit l’historien. Certes, ils offrent certains avantages : l’espace nécessaire au rassemblement massif, la visibilité, et la possibilité de traverser la capitale d’ouest en est. Mais la mémoire n’y est pas. La Révolution française ne les a que peu utilisés. Et l’action politique de rue, le plus souvent insurrectionnelle, préfère longtemps le labyrinthe du ventre de Paris, où les barricades sont bien plus faciles à tenir.
Mais un nouveau type d’initiative politique se développe dans les années 1820 : l’enterrement. Les funérailles d’opposants (députés, pairs, généraux et maréchaux d’Empire) rassemblent jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de personnes, qui forment un cortège entre le domicile du défunt ou l’église et le cimetière du Père-Lachaise. Ce parcours, déjà tracé en accord avec la Préfecture de police, emprunte les boulevards. Au fil du temps, ces parcours funèbres font naître tous les codes de la manifestation moderne. Les cortèges sont divisés en différentes représentations (les sociétés politiques, les corporations ouvrières, les étudiants…), et les signes de deuil sont peu à peu remplacés par les bannières tricolores, quand ce n’est pas le drapeau rouge.
« Avec les journées de février 1848, la ligne des boulevards, de la Madeleine à la Bastille, s’impose comme espace révolutionnaire, écrit Fureix. Moins celui des combats et des barricades, plus à leur aise dans les lacis de ruelles du centre et des faubourgs, que celui, symbolique, des cortèges, défis et provocations, des premières violences et des célébrations victorieuses. »