Publié dans le magazine Books n° 74, mars 2016. Par Peter Brooks.
Vingt ans avant Hugo et ses Misérables, Eugène Sue fait entrer le peuple en littérature. Publiés en feuilleton, Les Mystères de Paris sont déclamés à voix haute dans les cafés et dans les ateliers. Pour les lire, les diplomates arrivent en retard aux réunions. Ils permettent la naissance de la presse à grand tirage et inventent une forme de roman collaboratif bien avant Internet.
Le 19 juin 1842, les abonnés au placide
Journal des débats découvrent la première livraison du feuilleton
Les Mystères de Paris, d’Eugène Sue, en « rez-de-chaussée » (le bas de la page) de la une du quotidien. L’histoire se déploiera au fil des mois en 150 épisodes palpitants, pour ne se clore que le 15 octobre 1843. Il s’agira clairement du best-seller le plus phénoménal du XIXe siècle en France, et peut-être même du plus grand best-seller de tous les temps.
Difficile d’estimer le nombre de lecteurs des
Mystères de Paris, puisque chaque épisode était lu à haute voix, dans les cafés des villages de tout le pays, dans les ateliers, dans les bureaux. Les diplomates arrivaient en retard aux réunions et les comtesses au bal parce qu’il leur fallait être au fait du dernier épisode. Le phénomène, d’ampleur véritablement nationale, exerça la même fascination que le font aujourd’hui les grands procès, mais une fascination savamment entretenue d’une livraison à l’autre, à la manière de nos séries télévisé...