Inaperçu
Temps de lecture 1 min

L’éternelle jeunesse du patrimoine russe


"L'apogée du Kremlin", Apollinary Vasnetsov

« C’est donc tout ? Des pierres cassées ? Honnêtement, en dehors du Colisée, rien ne vaut la peine qu’on y regarde. Mais pourquoi ne rafraîchissent-ils pas tout cela ? » Cette réaction, face à Rome, d’un personnage du poète Apollon Nikolaïevitch Maïkov (1848) reste typique de l’attitude russe envers les vestiges. Eglises et palais ne manquent certes pas dans le pays, mais ces vieilles pierres sont régulièrement remises à neuf.

Ici, on rénove, on transforme, on reconstruit, mais on ne conserve pas. Jusqu’en 1917, il était d’ailleurs interdit de laisser une église orthodoxe tomber en ruine. Andreas Schönle, dans Architecture of Oblivion, souligne la volonté politique derrière ce parti-pris culturel. Comme l’État russe se veut le « gardien de la ville, de l’espace et de la société », le moindre signe de délabrement est une remise en cause du pouvoir. Par ailleurs, dans une vision binaire de l’histoire, démolition et reconstruction permettent aux gouvernants d’effacer toute trace de leurs prédécesseurs.

Après l’effondrement de l’URSS, le maire de Moscou, Iouri Loujkov, a ainsi entrepris d’éliminer les témoignages de l’ancien régime. Il a détruit entre autres la place du Manège (transformée en galerie marchande souterraine en 1995), le centre des expositions du même nom (entièrement reconstruit alors qu’il n’avait été que partiellement détruit par un incendie en 2004), l’hôtel Moskva (démoli en 2003 avant d’être reconstruit), et le grand magasin militaire Voentorg. « L’ampleur des transformations de la ville prive la capitale de la patine du temps, dénonce Schönle, de toute profondeur historique palpable et donc de sa capacité à incarner les souvenirs des individus. » Il y a pourtant des amoureux des vieilles pierres en Russie. Mais il n’est pas rare pour les militants de la conservation du patrimoine de faire l’objet de menaces et de poursuites en justice.

En savoir plus : La Russie à l’épreuve de ses ruines, Books, décembre 2012.

LE LIVRE
LE LIVRE

Architecture of Oblivion de Andreas Schönle, Northern Illinois University Press, 2011

SUR LE MÊME THÈME

Inaperçu Tiananmen : une archive inédite du PC chinois
Inaperçu Où est passée la weblittérature ?
Inaperçu L’épidémie qui protège du Sida

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Chronique

Feu sur la bêtise !

par Cécile Guilbert

Voir le sommaire