Comment la lettre est venue aux Français
Publié le 8 décembre 2016. Par La rédaction de Books.
Persuasion, Hugh Thomson
Prendre un stylo, une feuille, une enveloppe et écrire une lettre manuscrite est une pratique en voie de disparition. Nous pouvons regretter de perdre là un formidable moyen d’expression, voire un art à part entière, mais c’est en fait une habitude bien éphémère, à l’échelle de l’histoire, que nous abandonnons. Car il a fallu des décennies pour faire de la lettre une pratique banale à tous les niveaux de la société française, rappelle Roger Chartier dans La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle. La tournée du facteur à domicile apparaît dans les campagnes en 1830, le timbre naît en 1849, mais la correspondance n’entre dans les habitudes des paysans français qu’avec la Première Guerre mondiale. Malgré l’alphabétisation, progressive à partir de la Révolution, la lettre met du temps à s’imposer comme forme de communication ordinaire. Car savoir écrire est une chose, maîtriser l’écriture épistolaire nécessaire à la correspondance intime en est une autre, qui relève essentiellement de l’apprentissage autodidacte.
Une enquête postale menée en novembre 1847 dans 88 % des communes françaises révèle le piètre usage du courrier. On compte en moyenne, par quinzaine, 6,3 lettres pour 100 individus. Au quotidien, un facteur rural distribue trois lettres, deux à trois journaux et un ou deux imprimés. Les citadins écrivent davantage, et généralement à un destinataire vivant à plus de 20 kilomètres. Ce sont d’ailleurs moins deux individus qui correspondent, note Chartier, que deux maisonnées. Longtemps, les pratiques épistolaires restent collectives. Les lettres sont écrites à plusieurs mains et lues à haute voix. Il est vrai que la majorité des échanges d’ordre privé n’ont rien de très intime. Ils sont rituels : vœux de nouvel an, anniversaire, fêtes. Et ces correspondances sont très minoritaires dans la besace du facteur qui contient 90 % de lettres d’affaires. Les épistoliers les plus prolifiques sont les notaires, avoués, huissiers et autres négociants. L’art de la correspondance, très codé,demeure l’apanage des lettrés. Ce n’est qu’à la fin du siècle que la missive, devenue un banal exercice scolaire à visée de plus en plus utilitaire, s’affranchit des conventions sociales et se démocratise.