La loi, vue du commissariat
Publié le 26 octobre 2016. Par La rédaction de Books.
Les policiers qui manifestent depuis dix jours assurent qu’ils n’ont pas les moyens d’exercer leur fonction, qu’ils ne se sentent pas soutenus et respectés par la justice et le politique. Ils réclament des lois plus dures envers les agresseurs de policiers et les délinquants récidivistes. Mais les politiques publiques en matière de sécurité ont-elles tant de conséquences sur l’exercice de leur métier ? Les travaux des sociologues invitent, en tout cas, à en relativiser l’importance : la police dispose d’une grande autonomie dans son travail au quotidien, rappelle Pierre Favre dans « Quand la police fabrique l’ordre social ».
Et le rapport de l’agent à la loi est complexe. Payé pour la faire respecter et censé la respecter lui-même, il la transgresse régulièrement pour accomplir plus efficacement ses missions. Surtout, il l’interprète en permanence, déterminant quels désordres doivent être ou non réprimés, précise Dominique Monjardet dans Ce que fait la police. Dès l’accueil d’une victime au commissariat, c’est au policier qu’il revient de décider si la plainte mérite intervention. L’agent redéfinit ainsi, au jour le jour, ce qui relève de l’interdit. Certes, il a en tête pour ce faire la lettre de la loi, mais aussi les normes de l’institution qu’il représente, ses contraintes et ses objectifs propres. Toute une série d’actes répréhensibles (du tapage nocturne aux violences conjugales en passant par les tags) sont, ainsi, fréquemment classés sans suite. Et « sur ces microdécisions constantes, les pouvoirs publics n’ont prise que marginalement », insiste Pierre Favre. Un tel travail d’interprétation du légal et de l’illégal, de l’admissible et de l’inadmissible, est d’ailleurs rarement contredit par la justice : il « y a un ajustement de la loi aux exigences des opérations policières », écrit Jean-Paul Brodeur dans Les visages de la police. Les policiers sont, de ce point de vue, au moins autant producteurs de l’ordre social que simples exécutants chargés de le maintenir.