Mirabeau protège l’intimité de vos mails
Publié le 14 avril 2015. Par la rédaction de Books.
Le début de l’examen du projet de loi sur le renseignement n’a intéressé qu’une trentaine de députés lundi. En 1789, l’hémicycle était plus animé pour débattre de l’inviolabilité du secret des lettres. Dans un climat tendu, l’ambassadeur du Roi à Genève est intercepté avec des lettres au Comte d’Artois (le futur Charles X), qu’il tente de détruire. Les députés de la constituante sont partagés : doit-on ouvrir cette correspondance pour protéger la France d’une éventuelle menace ou doit-on respecter le secret des Postes, un droit qu’ils ont eux-mêmes institué ? Ce 25 juillet 1789, le débat fait rage et donne au comte de Mirabeau l’occasion d’user de ses dons d’orateur.
M. de Gouy d’Arcy
Dans un état de guerre, il est permis de décacheter les lettres ; et dans ces temps de fermentation et d’orages, de calomnies et de menées, nous pouvons nous regarder et nous sommes vraiment dans un état de guerre.
Nous avons donc le plus grand intérêt de connaître les auteurs de nos maux et pour pouvoir parvenir à cette connaissance, il faut nécessairement employer les mêmes moyens qu’on emploie à la guerre ; l’on doit être autorisé à intercepter et à décacheter tous paquets, lettres, adresses venant de pays ou de personnes suspectes, et on doit regarder comme telles toutes personnes en fuite.
Il est essentiel, il est de la première importance, que le peuple sache les ennemis qu’il a à combattre, et plus essentiel encore de faire connaître à ce même peuple que nous nous occupons de tout ce qui peut l’intéresser.
M. de La Luzerne, évêque de Langres
Après une grande fermentation dans sa patrie et une guerre civile, le grand Pompée eut la générosité et la grandeur d’âme de livrer au feu toutes les lettres qui auraieut pu encore proroger le souvenir des événements funestes et des malheurs de la patrie. Il est permis d’ouvrir les lettres d’un homme suspect à la patrie ; mais on ne peut regarder comme tel qu’un homme dénoncé. Je conclus donc qu’il est plus conforme à la générosité de la nation de suivre l’exemple du Romain, et qu’il faut précipiter dans les flammes les papiers dont il est question.
[…]
M. Duport
Rien n’est plus funeste et plus préjudiciable à l’ordre de la société que le droit de pouvoir violer, sous quelque prétexte que ce soit, l’inviolabilité du secret des postes ; je le sais, par expérience, non pas personnelle, mais dans la personne d’un ministre qui avait les intentions pures et le cœur droit ; je le nomme hautement : M. Turgot a été victime d’une correspondance funeste qui prenait sa cause dans le droit que le ministre s’était arrogé de violer le secret des postes, et de pénétrer tous les cœurs, pour empêcher les mécontents de se plaindre de l’injustice et du despotisme du ministère. Il est indigne d’une nation qui aime la justice, et qui se pique de loyauté et de franchise, d’exercer une telle inquisition.
M. le comte de Mirabeau
Est-ce à un peuple qui veut devenir libre à emprunter les maximes et les procédés de la tyrannie ? Peut-il lui convenir de blesser la morale, après avoir été si longtemps victime de ceux qui la violèrent ? Que ces politiques vulgaires qui font passer avant la justice ce que, dans leurs étroites combinaisons, ils osent appeler l’utilité publique ; que ces politiques nous disent du moins quel intérêt peut colorer cette violation de la probité nationale. Qu’apprendrons-nous par la honteuse inquisition des lettres ? De viles et sales intrigues, des anecdotes scandaleuses, de méprisables frivolités. Croit-on que les complots circulent par les courriers ordinaires ? Croit-on même que les nouvelles politiques de quelque importance passent par cette voie ? Quelle grande ambassade, quel homme chargé d’une négociation délicate ne correspond pas directement, et ne sait pas échapper à l’espionnage de la poste aux lettres ? C’est donc sans aucune utilité qu’on violerait les secrets des familles, le commerce des absents, les confidences de l’amitié, la confiance entre les hommes. Un procédé si coupable n’aurait pas même une excuse, et l’on dirait de nous dans l’Europe : en France, sous le prétexte de la sûreté publique, on prive les citoyens de tout droit de propriété sur les lettres qui sont les productions du cœur et le trésor de la confiance. Ce dernier asile de la liberté a été impunément violé par ceux mêmes que la nation avait délégués pour assurer tous ses droits. Ils ont décidé, par le fait, que les plus secrètes communications de l’âme, les conjectures les plus hasardées l’esprit, les émotions d’une colère souvent mal fondée, les erreurs souvent redressées le moment d’après, pouvaient être transformées en dépositions contre des tiers ; que le citoyen, l’ami, le fils, le père, deviendraient ainsi les juges les uns des autres, sans le savoir ; qu’ils pourront périr un jour l’un par l’autre ; car l’Assemblée nationale a déclaré qu’elle ferait servir de base à ses jugements des communications équivoques et surprises, qu’elle n’a pu se procurer que par un crime.