Publié dans le magazine Books n° 78, juillet-août 2016. Par Marina Warner.
Les plus belles cartes marines du Moyen Âge et de la Renaissance fourmillaient de créatures fantastiques. Ces chimères gigantesques étaient censées mettre en garde les marins contre les dangers d’un milieu encore mal connu. La fascination qu’elles continuent d’exercer traduit la persistance d’un imaginaire vieux comme la Bible, qui associe la mer au chaos des origines.
Dans le conte d’Abdallah de la terre et Abdallah de la mer, tiré des
Mille et Une Nuits, un pauvre pêcheur s’efforce en vain depuis des jours d’attraper du poisson. Mais voilà qu’enfin, en réponse à ses prières de plus en plus désespérées, il sent quelque chose de lourd se prendre dans son filet. Il le remonte, tout joyeux, et se retrouve nez à nez avec un triton, qui lui demande de lui laisser la vie sauve et de lui donner des fruits et des légumes – il est difficile de s’en procurer sous la mer, explique la créature. En échange de quoi le triton promet de revenir avec une fastueuse récompense. Abdallah de la terre n’en croit pas un mot, mais le libère tout de même, par bonté d’âme.
Évidemment, nous sommes dans un conte de fées, et le triton tient parole : il émerge à nouveau des profondeurs en tendant vers son libérateur des paniers remplis de pierres précieuses (perles, coraux, chrysolites…). Et les échanges fructueux entre les deux personnages se poursuivent jusqu’à ce qu’Abdallah de la mer ...