À contre-courant
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Non, l’Etat n’est pas tout

L’ancien président de la Catalogne, Artur Mas, et deux ex-ministres régionaux, Joana Ortega et Irene Rigau, sont actuellement jugés pour désobéissance. Ils ont organisé un référendum jugé illégal sur l’indépendance de leur région. Pour se vivre en tant que nation, de nombreuses communautés rêvent de fonder leur propre Etat. Pourtant l’idée qu’un pays est un cadre inévitable pour asseoir un pouvoir politique est complètement fausse, assure l’historien Andreas Osiander dans Before the State. L’Etat, tel qu’il est conçu aujourd’hui, n’apparaît qu’au XIXe siècle. Assurer qu’il a toujours existé sous une forme ou une autre n’est qu’une tentative de le légitimer par le mythe.

La polis grecque ou les empires médiévaux ne remplissent pas tous les critères pour être qualifiés d’Etat : un centre décisionnel disposant à la fois des moyens de coercition et de sujets se reconnaissant dans une communauté, le tout sur un territoire délimité. Le grand empire gréco-macédonien du deuxième siècle avant notre ère ne régnait pas sur des collectivités liées entre elles par une solidarité mutuelle ou même par la perception d’un destin commun. Ses sujets n’avaient pas l’impression de faire partie de la même entité politique.

Au Moyen-âge, les normes sont l’apanage de la chrétienté ou du Saint Empire. La force de police, elle, s’exerce dans des relations féodales très locales. Le pape et l’empereur pouvaient alors avoir une domination très large, sans gouverner effectivement qui que ce soit. Leurs sujets n’avaient d’ailleurs que peu besoin de gouvernance, souligne Osiander. Neuf personne sur dix étaient des paysans qui devaient cultiver la terre ou mourir de faim, et donc s’autogérer. Le gouvernement intervenait pour prendre sa part, assurer une justice minimum et garantir la paix. Pendant des siècles, le rôle principal des régnants a été de se battre pour conserver ces territoires ou en acquérir d’autres. Louis XIV avait ainsi un demi million de soldats engagés dans toute l’Europe, mais seulement 2000 militaires pour maintenir l’ordre dans son propre royaume. Au XVIIIe siècle, les Néerlandais et les Suisses n’avaient pas du tout besoin d’un gouvernement central, ajoute Osiander. Et beaucoup d’émigrants d’Europe de l’Est arrivant aux Etats-Unis au XIXe siècle, s’ils connaissaient le nom de leur village, ne savaient pas de quel pays ils venaient. Cela n’était pas important pour eux.

LE LIVRE
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Before the State de Andreas Osiander, Oxford University Press, 2007

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