« Il n’y a pas de hasard »

« Il n’y a pas de hasard dans la vie », lit-on en grosses lettres sur des sites comme penseespositives.net, lesmotspositifs.com, ou encore conscience-et-eveil-spirituel.com. Tous citent une forte pensée attribuée à Paul Éluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. » Mais aucun, pas plus que les dictionnaires de citations qui traînent sur Internet, ne donne l’origine de la citation ni donc le contexte dans lequel le poète aurait dit ou écrit cela. Il est vrai qu’après coup, par exemple, la découverte d’un livre admirable donne le sentiment qu’il nous attendait, en quelque sorte, que le rendez-vous se préparait. De même, Paulo Coelho écrit : « Il n’y a pas de hasard dans les rencontres […]. Les rencontres les plus importantes ont été préparées par les âmes bien avant que les corps ne se voient. » L’être humain cherche à donner du sens à toute chose. L’idée que le hasard, le hasard tout nu et rien d’autre, exerce une influence déter­minante sur sa vie et celle des autres, ne nous plaît guère ; car elle enlève du sens à la vie. Elle reflète pourtant une réalité profonde. Dans son Premier discours sur la condition des grands, écrit sous le règne de Louis XIV, Blaise Pascal écrivait : « Vous ne vous trouvez au monde que par une infinité de hasards. Votre naissance dépend d’un mariage, ou plutôt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais ces mariages, d’où dépendent-ils ? D’une visite faite par rencontre, d’un discours en l’air, de mille occasions imprévues. Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancêtres ; mais n’est-ce pas par mille hasards que vos ancêtres les ont acquises et qu’ils les ont conservées ? ». Encore Pascal ignorait-il le rôle ­capital du hasard dans l’évolution des espèces (qui nous fait hommes), dans la rencontre entre un spermatozoïde et un ovule, dans la détermination du sexe, dans l’exposition du fœtus à l’environnement, etc. Si l’on suit le fil de la vie, il est ­constellé de hasards : rencontres, incidents et accidents de toute sorte, maladies imprévues, coups de chance et coups du sort… C’est aussi à Pascal qu’on attribue les premières intuitions fondant le calcul des probabilités, qui est la maîtrise mathématique du ­hasard. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qui dictent notre attitude ambiguë à l’égard de cet inquiétant golem : sous bien des aspects, il obéit strictement à des lois statistiques. Les compagnies d’assurances l’exploitent à la virgule près. Beaucoup d’entre nous paient leur police sans bien le comprendre. Et 85 % des conducteurs se croient meilleurs conducteurs que le conducteur moyen…

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