Inattendu
Temps de lecture 1 min

Comment les Parisiens ont appris à sourire


Madame Molé Reymond, par Elisabeth Vigée Le Brun

Le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, a appelé les Français à témoigner leur reconnaissance aux forces de l’ordre en leur adressant un mot, un remerciement ou… un sourire. Naturel ? Que nenni ! Paris a appris à sourire au XVIIIe siècle seulement, rappelle l’historien Colin Jones dans The Smile Revolution in Eighteenth Century Paris. Auparavant, ce petit mouvement de la bouche avait assez mauvaise réputation. Comme le bâillement ou le pet, il était considéré comme un rappel inopiné, et indésirable en société, des choses du corps. Seuls les sourires pincés étaient acceptables, et même nécessaires à la survie d’un courtisan à Versailles. S’afficher la bouche ouverte appartenait en propre aux fous et aux mal élevés. On ne trouve d’ailleurs aucun portrait de nobles toutes dents dehors avant cette période, soutient Jones. Le mot « sourire » lui-même apparaît rarement dans la littérature, et toujours sur le mode de la réprobation. « Mais à compter de 1740, explique Jones, son utilisation se répand et le contexte change. Le sourire devient positif. » Le culte de la sensibilité gagne alors la bourgeoisie parisienne, puis l’aristocratie. Les spectacles et les romans d’une grande intensité émotionnelle, signés Samuel Richardson ou Jean-Jacques Rousseau, rendent acceptable le sourire charmant et tendre. Plus : il est désormais à la mode.

Cette révolution n’aurait certainement pas vu le jour sans un progrès prosaïque, dans le domaine des soins dentaires. Gâtées par le sucre et une mauvaise hygiène, les dents blanches (voire les dents tout court) n’étaient qu’un souvenir pour de nombreux aristocrates, à commencer par Louis XIV lui-même. Et à l’époque, la seule solution consistait à tout arracher. Mais à la fin du XVIIIe siècle, Pierre Fauchard, le père de la chirurgie dentaire, inventait le fraisage, les plombages et les bains de bouche, notamment avec de l’urine. Les premiers dentiers en porcelaine voyaient le jour et on arrachait volontiers des quenottes à des sujets sains pour les implanter sur des édentés. Surtout, on apprend alors à utiliser une brosse à dents. Après les ravages de la Révolution, cependant, Parisiens et aristocrates retrouvent leur moue affectée. Il faudra attendre 1920, avec la démocratisation du portrait photographique, la publicité et Hollywood, pour que le sourire s’affiche de nouveau sur tous les visages.

 

En savoir plus : L’art français du sourire, Books, décembre 2014.

LE LIVRE
LE LIVRE

La révolution du sourire dans le Paris du XVIIIe siècle de Colin Jones, Oxford University Press, 2014

SUR LE MÊME THÈME

Inattendu Se reproduire sans sexe
Inattendu États-Unis : les fiascos de l’impeachment
Inattendu Manger un steak, c’est classe

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Chronique

Feu sur la bêtise !

par Cécile Guilbert

Voir le sommaire