« Suicide », dites-vous ?

« Nous croyons de toute notre âme que la réalisation des implantations est un retour à la terre de nos ancêtres et que ce droit est indissociablement lié à celui du peuple juif à la sécurité nationale […]. Le patriarche Abraham et le patriarche Joseph sont venus à Beit El et à Hébron il y a plus de quatre mille ans, bien avant que ces lieux deviennent des sujets pour les médias. » Il faut méditer cette récente déclaration du ministre israélien de l’Éducation, Gideon Sa’ar. Car s’il est une leçon de l’histoire, c’est bien celle-là : ne pas négliger ce que disent les acteurs, aussi invraisemblable que paraisse leur propos. L’image de couverture de ce numéro de Books montre un spectacle courant : celui de juifs ultra-orthodoxes qui, obéissant à une injonction biblique, récoltent le blé à la faucille (la farine servira à faire le pain de la Pâque juive). On voit ce genre de scène aussi bien dans les colonies de Cisjordanie qu’en Israël même. C’est aussi caricatural, en un sens, que la déclaration du ministre, mais non moins symbolique : d’après les enquêtes récentes, la population israélienne a tendance à se rapprocher du fondamentalisme religieux. Entre autres signaux, les sondages précédant les prochaines élections donnaient autant de sièges aux ultra-orthodoxes qu’aux travaillistes. En titrant notre dossier « Le suicide d’Israël », nous prenons le mot « suicide » dans son sens métaphorique, depuis longtemps attesté dans la langue française : « Se dit d’une action, d’une démarche qui ruine les affaires de celui-là même qui la fait » (Littré). La démarche, ici, consiste à poursuivre la politique d’implantation des colonies dans les territoires palestiniens, rendant de plus en plus improbable l’instauration de deux États. Cette politique est deux fois suicidaire. D’abord, elle isole Israël au plan international. Même aux États-Unis, le front du lobby juif commence à se fissurer. Et, en annonçant l’avènement d’un seul État allant de la Méditerranée au Jourdain, elle crée les conditions d’une troisième Intifada, cette fois venue de l’intérieur.  

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