Cervelle de singe

Pour l’avoir entendu raconter et vu dans des films, j’ai longtemps cru que certains restaurants chinois offrent de la cervelle d’un singe vivant dont le crâne émerge d’un trou au centre de la table, et dans lequel les convives puisent ad libitum. Journaliste au Japan Times, Mark Schreiber a enquêté : c’est un mythe, une légende urbaine née d’un article canular écrit par un journaliste en 1948. Schreiber a tout de même fini par trouver à Pékin un restaurant annonçant de la cervelle de singe au menu. Mais c’était un restaurant végétarien, le classique tofu étant parfois appelé nao (cervelle).
Car il y a même des végétariens en Chine, pays où j’ai mangé du chien et un serpent choisi par moi et tué devant moi. Le végétarisme est un choix culturel pratiqué depuis la haute Antiquité dans les sociétés complexes, multireligieuses, comme la Chine, l’Inde ou le monde grec anciens. Il ne semble pas exister d’ouvrage savant explorant de manière convaincante l’histoire longue du sujet.
L’industrialisation de l’agriculture en Occident a changé la donne, fournissant au végétarisme des bases nouvelles. Il se nourrit à la fois d’un sentiment de répulsion à l’égard de la souffrance infligée aux animaux de boucherie et du mouvement de défiance à l’égard du capitalisme. Un paradoxe souvent passé sous silence est que le premier pays à avoir adopté une législation en faveur du bien-être animal est l’Allemagne nazie. Après la Seconde Guerre mondiale, l’écologisme a donné au végétarisme une nouvelle dimension. Fait rarement observé, ce sont deux femmes qui ont jeté les bases de la cause écologiste et de la cause animale, à peu près au même moment : Rachel Carson avec Printemps silencieux, en 1962, et Ruth Harrison avec Animal Machines, en 1964.
Cette question ne laisse personne vraiment indifférent, qu’elle motive discrètement une règle de vie, génère une ironie facile ou soulève une passion extrême. Elle mobilise un nombre étonnant de grands ou beaux esprits, qui s’efforcent de mettre de la raison là où il n’y a souvent que du cœur.

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