Nous sommes tous des autistes

Parmi les curiosités de l’autisme, il y a sa modernité. Il faut attendre 1938 pour que le Viennois Hans Asperger identifie chez des enfants le syndrome qui désormais porte son nom, et 1943 pour que l’Américain Leo Kanner identifie l’autisme infantile profond. Il faut encore attendre les années 1970 pour que le phénomène acquière droit de cité. Et encore. Dans l’Encyclopædia Universalis de 1993, l’autisme des enfants n’est pas même mentionné dans le court article consacré à l’entrée « autisme ». Le mot est alors réservé à une forme de schizophrénie chez l’adulte décrite par le psychiatre suisse Eugen Bleuler en 1911. Depuis, nous assistons à une véritable flambée, consacrée par les études épidémiologiques. Aux États-Unis, un enfant de 8 ans sur quatre-vingt-huit est aujourd’hui jugé affecté par une forme ou une autre de ce qu’on est convenu d’appeler le « spectre » de l’autisme. Le mot s’est tellement répandu qu’il finit par désigner, en dehors de tout diagnostic psychiatrique, la moindre propension de certains d’entre nous à ne pas savoir communiquer comme il faudrait. Le syndrome d’Asperger désignant désormais une forme d’autisme dit « de haut niveau », on le voit appliqué à des personnalités aussi diverses que Barack Obama, Bill Gates ou François Hollande. Pour le chercheur britannique Simon Baron-Cohen, chacun de nous se situe quelque part sur une échelle allant de l’autisme profond à l’extraversion empathique, et comme la condition affecte beaucoup plus les garçons et les hommes que les filles et les femmes, elle est devenue une marque de la masculinité. Les psychiatres eux-mêmes y perdent leur latin. Une fois évacuée la notion de « schizophrénie de l’enfant », les auteurs du manuel de référence de la profession, le DSM, n’ont cessé de modifier les critères de diagnostic. Il fallait un déficit du langage, cela a été abandonné. L’autisme a été englobé dans un groupe de « troubles envahissants du développement », puis on y a renoncé. Entré dans le DSM en 1994, le syndrome d’Asperger vient de s’en voir exclure. À force de tout mélanger, à force aussi de valoriser les facultés exceptionnelles de certains autistes, on finit par y voir une manière d’être parmi d’autres, une forme d’altérité, oubliant le terrible handicap qui frappe souvent à vie une fraction de nos enfants et leur famille.

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