Que reste-t-il de la COP21 ?

Dans le monde de faux-semblants qui est le nôtre, la COP21 est un cas d’école. Du bruit allant s’amplifiant au fil des mois, de grands titres à foison, des tartines de texte et de commentaires lestés de bons sentiments, et pour finir une grande représentation théâtrale, avec force discours enflammés et congratulations. Et puis pouf ! Plus rien. Le ballon a crevé. Qu’en reste-t-il ? Un texte illisible et que personne n’a lu, un accord en trompe-l’œil, sans le moindre engagement réel. Les chefs d’Etat sont retournés chez eux très contents de pouvoir annoncer un succès qui ne leur coûtera rien. Laurent Fabius peut s’enorgueillir d’avoir brillamment fait prendre une vessie pour une lanterne. Quant à François Hollande, qui avait choisi de faire coïncider le grand événement avec des élections, il ne semble guère en avoir tiré bénéfice. A l’arrière-plan de ces gesticulations, il faut le reconnaître, le problème posé est délicat. Si l’on admet, à tort ou à raison, qu’il y a un réchauffement global dû à l’homme, comment définir la politique permettant de prendre les mesures les plus efficaces possibles ? Comme le font valoir depuis longtemps des économistes comme William Nordhaus et Nicholas Stern, la solution dépend d’abord de la valeur accordée à ce qu’on appelle le taux d’actualisation. Soit ce taux est faible, autrement dit l’argent dépensé aujourd’hui a moins de valeur que l’argent que l’on risque d’avoir à dépenser demain si l’on n’a pas pris aujourd’hui des mesures drastiques : auquel cas il faut prendre de telles mesures. Soit la tendance à l’accroissement des richesses et du niveau de vie va se poursuivre et l’argent dépensé aujourd’hui coûte beaucoup plus cher que l’argent dépensé après-demain : le taux d’actualisation est élevé, il vaut mieux ne pas prendre de mesures drastiques risquant d’entraver la croissance et se contenter de mesures de précaution favorisant l’innovation. Inutile de le préciser : les économistes ne sont pas d’accord entre eux sur ce point. Cela rappelle à certains égards une querelle qui divisa de grands esprits au XVIIIè siècle. La variole tuait chaque année près d’un Européen sur dix. Mais vacciner un enfant entraînait un risque de décès peut-être d’environ un sur cent. Pour des parents, ou un médecin, valait-il mieux prendre le risque même faible d’un décès immédiat ou préférer le risque dix fois plus élevé d’un décès plus tard dans la vie ? Comme aujourd’hui les économistes avec leurs modèles, les mathématiciens se sont emparés du problème.  Entré dans la mêlée, D’Alembert a montré que les mathématiques, si subtiles soient-elles, seraient impuissantes à convaincre les adversaires de la vaccination. Ceux-ci pourraient en effet toujours opposer des arguments parfaitement sensés du point de vue du parent ou du médecin à qui revient la décision. Si D’Alembert avait eu à se prononcer sur la question du climat, il aurait trouvé matière à une contestation plus radicale. Car si pour la variole l’intérêt de la collectivité était clair, il n’en va pas de même ici. Même Stern, partisan d’un taux d’actualisation très faible et de mesures drastiques tout de suite, projette un revenu par tête multiplié par plus de dix d’ici deux siècles. En dépit des effets supposés délétères du changement climatique, les scénarios pour l’an 2100 présentés par le Giec prévoient une multiplication de trois à vingt des revenus moyens. Dans un article récent, l’économiste britannique Richard Tol estime qu’un réchauffement de 2,5°C entrainera pour l’individu moyen le sentiment d’un manque à gagner de 1,3%... sur un revenu qui aura par ailleurs été plusieurs fois multiplié depuis 2015. Si l’on suit ce raisonnement, mieux vaut privilégier des mesures douces et progressives et ne pas provoquer de choc majeur risquant de mettre en péril le peu de croissance qui nous reste. A lire les arguments présentés par les uns et les autres, le choix d’un taux d’actualisation faible ou élevé apparaît finalement comme une affaire de perception. C’est un choix subjectif, donc éminemment sujet à caution. Il en va d’ailleurs de même de bien d’autres choix intellectuels concernant cette curieuse affaire du climat. Si l’on voulait vraiment vacciner la planète contre les gaz à effet de serre, par exemple, on devrait logiquement mettre la barre à fond toute sur le nucléaire. Si on ne le fait pas, c’est peut-être que les risques associés au réchauffement climatique sont ressentis de manière moins aiguë qu’on le prétend. Olivier Postel-Vinay Cet article est paru dans Libération le 12 janvier 2016.    

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