Quand rien n’est vrai, tout est possible
Publié le 24 janvier 2017. Par La rédaction de Books.
The Man in the High Castle, Amazon
L’équipe de Trump s’est posée en championne des « faits alternatifs ». De Tite-Live à Philip K. Dick, en passant par Charles Renouvier, inventeur du terme uchronie, l’histoire se prête aussi à cet exercice. Que ce serait-il passé si Marc-Aurèle avait été remplacé par Avidius Cassius, si l’Allemagne avait gagné la Deuxième guerre mondiale ? Ces hypothèses sont longtemps restées du domaine du jeu intellectuel. Mais, depuis le début des années 1990, de nombreux universitaires anglo-saxons les prennent très au sérieux, assure l’historien Richard Evans dans Altered Past. « Fantasmer est à la mode et menace de submerger nos perceptions sur ce qui est réellement arrivé dans le passé », écrit-il.
Selon Evans, ce regain d’intérêt pour l’histoire avec un « si » est lié notamment à la disparition des grandes idéologies comme le marxisme, le communisme ou le fascisme qui ont emporté avec elles l’idée d’une histoire orientée vers un but final. Toutes les spéculations deviennent alors possibles. Et l’émergence du post-modernisme, elle, a disqualifié la possibilité d’une connaissance objective du passé. Son scepticisme, ainsi que le développement de la société de l’information, ont brouillé les limites entre faits réels et fiction.
Mais cette histoire contrefactuelle n’est pas sans but, souligne Evans. Elle est souvent l’œuvre d’universitaires conservateurs promouvant leur agenda et partageant une même hostilité à l’égard du déterminisme historique. Ils sont partisans d’une histoire faite par les grands hommes. Sauf que, pour Evans, ces historiens non seulement simplifient outrageusement le passé, mais ignorent totalement l’influence des histoires sociale, culturelle et économique. Si les Sarrasins n’avaient pas été arrêtés à Poitiers par Charles Martel, par exemple, rien ne dit que l’Europe entière serait aujourd’hui musulmane. Tout indique, au contraire, que l’expansion arabe était en train de s’essouffler. Sans compter qu’il n’est même pas sûr, selon l’arabiste américain Bernard Lewis, que les Maures envisageaient d’occuper le continent…
En savoir plus : L’histoire peut-elle s’écrire au conditionnel ?, Michel André dans les blogs de Books.