Sciences sous influence

Le site anti-vaccins « initiativecitoyenne » présente une liste effrayante de « complications » dues à la vaccination antigrippale : « réaction allergique fatale » et tutti quanti. La liste est assortie de 98 références en anglais. Ce sont des articles scientifiques publiés dans des revues dites à comité de lecture, autrement dit respectant la procédure de validation par les pairs. Cela en jette, mais la référence à l’autorité de la science est là pour faire illusion. Si le vaccin contre la grippe n’est pas une panacée, il est bien établi qu’il réduit le taux de mortalité chez les plus de 65 ans. La plus grosse alerte sur le risque des vaccins trouve son origine dans un article publié dans la prestigieuse revue médicale The Lancet en 1998. Signé par treize chercheurs et dûment revu par les pairs, il soutenait que vaccin pour les enfants contre la rougeole, les oreillons et la rubéole faisait courir un risque d’autisme. Le principal auteur de l’étude publia par la suite plusieurs articles dans des revues à comité de lecture, confirmant le risque. En 2004, des journalistes ont révélé que ledit auteur avait reçu 55 000 livres sterling d’un cabinet d’avocats spécialisés dans les procès contre les laboratoires pharmaceutiques. The Lancet a dû finalement récuser l’article d’origine, mais seulement en 2010. L’auteur s’est vu retirer le droit d’exercer la médecine. Aux Etats-Unis, la FDA (Food and Drug Administration), cédant à la pression d’organisations féministes, vient d’accorder son feu vert à un « Viagra » féminin, dans des conditions plus que douteuses. C’est le résultat d’une quinzaine d’années de lobbying menée par des laboratoires pharmaceutiques et des chercheurs universitaires rémunérés par eux. Ce lobbying s’appuie sur quantité d’articles savants publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture. Le premier est paru en 1999, l’année suivant la mise sur le marché du Viagra lui-même. Publié dans l’austère Journal of the American Medical Association (JAMA), signé par trois chercheurs, il affirmait que le « dysfonctionnement sexuel » est encore plus répandu chez les femmes que chez les hommes (« 43% » contre « 31% »). Le beau marché ! A la suite des travaux du Grec John Ioannidis, aujourd’hui à Stanford, le vaste monde des chercheurs en biomédecine a reconnu la tête basse que les trois quarts des publications de leur secteur, dûment revues par les pairs, sont biaisées. Le chiffre auquel Ioannidis est parvenu est même 80%. Les biais vont toujours dans le même sens : exagérer l’ampleur et la valeur des résultats annoncés – jusqu’à inverser la signification des données exploitées . Diverses motivations sont à l’œuvre, qui souvent se conjuguent : intérêt de carrière (« publish or perish »), intérêt financier (soutien d’un groupe industriel, d’une administration, d’un groupe de pression), intérêt intellectuel (publier dans un sens qui conforte ses publications précédentes même si elles sont douteuses), intérêt idéologique (les chercheurs ne sont pas immunisés contre les préférences politiques et les croyances du jour). La fraude en bonne et due forme n’est pas si rare. Depuis l’été dernier c’est au tour des psychologues d’être sur la sellette. Deux études l’ont établi : les mêmes phénomènes sont à l’œuvre. Selon la dernière, trente-neuf des résultats expérimentaux sur lesquels se fondaient cent articles scientifiques jugés importants n’ont pu être reproduits , et ceux qui ont pu l’être étaient en moyenne gonflés de 50%. Pour Ioannidis, « la proportion des articles publiés en psychologie qui ne sont pas des faux positifs doit être de l’ordre de 25% », donc comparable à ce que l’on voit en biomédecine. Et grâce aux travaux de l’économiste canadien Ross McKitrick, nous savons qu’il en va de même en sciences économiques. Il y a de bonnes raisons de penser que la proportion d’articles biaisés est comparable dans toutes les sciences qui concernent les activités humaines, comme encore les sciences de l’environnement et la climatologie. Lorsqu’une équipe lyonnaise a récemment annoncé avoir créé des spermatozoïdes en éprouvette, un savant professeur, quelque peu sceptique, a déclaré « Nous attendons avec impatience une publication scientifique validée par les pairs ». Nous le savons aujourd’hui, la validation par les pairs est un mythe. Olivier Postel-Vinay Ce texte est paru dans Libération le 7 octobre 2015.

SUR LE MÊME THÈME

Blog « Notre Antigone n'a pas pu sortir »
Blog Le bel avenir de la presse papier
Blog Entre les murs

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire