Publié dans le magazine Books n° 54, mai 2014. Par Tony Wood.
Depuis la découverte des gisements de Sibérie, dans les années 1960, la Russie a noué un pacte avec l’or noir. C’est l’effondrement des cours, en 1986, qui acheva l’URSS moribonde. C’est leur flambée, depuis 1999, qui a financé le retour en force de l’État sous Vladimir Poutine et fondé le capitalisme hybride et corrompu qui fait de la Russie un quasi pétro-État. Aujourd’hui, le système est fragilisé. La dépendance aux exportations de pétrole et de gaz est très forte, les ressources tendent à s’épuiser et les technologies sont obsolètes.
L’histoire de la Russie au XXe siècle n’a pas été avare de tournants, depuis la révolution d’Octobre en 1917 jusqu’à la disparition soudaine de l’Union soviétique à la fin de 1991, en passant par la défaite allemande à Stalingrad en 1943. Mais ces moments clés, bien connus, n’ont pas été les seuls à forger le destin russe. D’autres charnières, moins visibles, ont infléchi la trajectoire du pays. À commencer par l’année 1959. Alors que les géologues soupçonnaient depuis longtemps le sous-sol du bassin marécageux de l’Ob de recéler du pétrole, une expédition le confirma alors, en révélant l’existence d’un gisement près du village de Chaïm. Début juin 1960, le puits R-6 était creusé ; après dix-huit jours de forage jusqu’à 1 500 mètres de profondeur, il commençait à cracher du pétrole au rythme de 400 à 500 tonnes par jour – c’était le premier champ d’importance industrielle à être exploité en Sibérie. Ce succès provoqua une frénésie d’exploration, et plus d’une vingtaine de gisements allaient être détectés dans la zone au cours des quatre anné...