Réapprendre l’ennui

En 1924, l’écrivain allemand Siegfried Kracauer préconisait « l’ennui exemplaire, radical » contre les agressions de la vie moderne. Et conseillait pour cela de « fermer les rideaux ». Aujourd’hui, c’est un ennui d’une autre nature, né de la surinformation, qui nous menace sans que nous en ayons conscience. À la différence du premier, cet ennui connecté ne nous laisse pas le temps de penser.

Le 16 novembre 1924, Siegfried Kracauer, l’un des phares du monde littéraire de la République de Weimar, publiait dans le Frankfurter Zeitung un texte plein d’allant. Avec sa formation d’architecte, Kracauer était un observateur acéré de la modernité et de son impact sur la vie en ville. Il marchait sur les traces de son ancien maître, le sociologue Georg Simmel, qui affirmait dès 1903, dans son essai Les Grandes Villes et la vie de l’esprit, que les citadins, stimulés à l’excès, ont tendance à adopter une « attitude blasée », mécanisme d’adaptation qui émousse leur capacité de réagir à des sensations nouvelles (1). Les préoccupations de Kracauer allaient au-delà. « Les êtres humains qui aujourd’hui ont encore le temps de s’ennuyer et cependant ne s’ennuient pas sont certainement tout aussi ennuyeux que ceux qui n’ont pas le temps de s’ennuyer », écrivait-il dans le Zeitung. Les membres de la bourgeoisie « sont de plus en plus profondément pris dans l’engrenage, à la fin ils ne savent plus où ils ont la tête ». La vie dans la ville moderne, avec ses distractions omnipré...
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Le cercle de Réapprendre l’ennui, Knopf

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