Sylvia Plath, sombre Sappho

Écrivain majeur, suicidée à 30 ans, l’Américaine fait partie de ces poètes dont la gloire est inextricablement liée à leur vie, à l’instar de Keats ou Rimbaud. Ses oeuvres complètes sortent pour la première fois en français.

«La poésie traduite, c’est comme un baiser à travers un voile », dit le poète israélien Bialik. Les éditions Gallimard ont pourtant décidé de réunir pour la première fois en français les œuvres complètes de l’Américaine Sylvia Plath, dans la collection Quarto. Entreprise justifiée : Plath est un écrivain majeur, qui a reçu le prix Pulitzer à titre posthume en 1982. En outre, l’attrait de sa poésie repose, « au-delà des rythmes hypnotiques, sur un flux d’images brillantes, inoubliables, intenses », comme l’écrit Elizabeth Hardwick dans la New York Review of Books. Des images concrètes et matérielles, plus aisément transposables d’une langue à l’autre. Ces métaphores domestiques, triviales même parfois, sont fabriquées « avec la matière première de sa vie quotidienne », poursuit dans la même revue le poète anglais Al Alvarez, « car Sylvia Plath est une alchimiste qui transforme le rebut en or ». Cette matière prosaïque nourrit aussi la noirceur, la brutalité et la fureur de ces textes, que Plath qualifiait de « jets de sang » : la vie de Plath ne fut, semble-t-il, que douleur, colère, et frustration. Son suicide à 30 ans, en 1963, était inéluctable, et même planifié. Aujourd’hui, le nom de Plath est indissociable de cette existence courte et tragique. « Chez elle, affirme Al Alvarez, vie et œuvre sont virtuellement impossibles à distinguer. Sylvia Plath fait partie de cette curieuse bande de poètes – qui inclut Chatterton, Keats, Rimbaud – dont la gloire est inextricablement liée à leur vie ». Elle est en effet devenue, après sa mort, « la déesse d’un culte […] hélas ! davantage fondé sur son suicide que sur ses textes purs, tranchants, méthodiques » déplore le poète britannique. Mais Plath est dans une grande mesure responsable de cette « hyper-biographisation » : elle a laissé, en plus de ses poèmes, un roman autobiographique, une abondante correspondance ainsi qu’un copieux journal, où l’on peut suivre sa quête de « la mort idéale, seule réponse à l’effroyable logique qui l’obligeait à vivre dans un tel monde, à un tel moment », estime pour sa part le critique Denis Donoghue dans le New York Times. Sa rage inextinguible était « ouvertement dirigée contre son père et, plus violemment mais sournoisement, contre son mari », précise Elizabeth Hardwick. Le premier, mort quand elle avait 8 ans, l’avait trop tôt faite orpheline ; le second, le fameux poète anglais Ted Hugues, la trompait assidûment. Il n’en fallait pas plus pour que les féministes s’emparent du souvenir de Sylvia Plath et en fasse la Sappho américaine. Elles furent un temps si déchaînées contre Ted Hughes, le mari infidèle et gardien du temple (à qui l’on reprocha d’avoir brûlé une partie du journal de sa femme et de n’en autoriser qu’une version expurgée), que le malheureux ne pouvait plus du tout paraître en public ! *  

Notes

* Ted Hughes a exploré sa relation complexe avec Sylvia Plath dans son dernier recueil de poèmes, Birthday Letters, paru quelques mois avant sa mort, en 1998 (et traduit chez Gallimard sous le même titre en 2002).

LE LIVRE
LE LIVRE

Œuvres de Sylvia Plath, sombre Sappho, Gallimard

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