Un cas de philojudaïsme : l’affaire Reuchlin

Entre 1507 et 1509, un Juif de Cologne converti au catholicisme, Johannes Pfefferkorn, publia une série de pamphlets au vitriol réclamant l’interdiction des prêts d’argent par les Juifs, l’obligation pour eux d’assister aux sermons chrétiens et la saisie et la destruction de tous leurs livres à l’exception de la Bible. Il avait le soutien de l’Inquisiteur général de Cologne, Jacob van Hoogstraten, de plusieurs théologiens de l’université de la ville, des Franciscains et de la sœur de l’empereur Maximilien. Ce dernier se laissa convaincre de prendre un décret interdisant les écrits juifs, considérés comme blasphématoires. C’était compter sans le courage et la détermination de l’humaniste catholique Johannes Reuchlin, un savant versé dans les études hébraïques, qui avait notamment publié une grammaire de l’hébreu. En octobre 1509, il adressa à l’empereur ses « Recommandations sur l’opportunité de confisquer, de détruire et de brûler tous les livres juifs », soulignant l’intérêt de conserver cette littérature pour étudier les Écritures. Pfefferkorn commença à appliquer le décret impérial en faisant saisir la riche bibliothèque de la synagogue de Francfort. Les Juifs parvinrent à freiner quelque temps le mouvement en s’appuyant sur l’archevêque de Mayence, qui leur devait une somme d’argent considérable, mais leurs livres continuèrent d’être saisis dans toute la Rhénanie. Cependant, l’intervention de Reuchlin avait fait son chemin, et l’empereur révoqua son décret. Il ordonna la restitution des livres et nomma une commission dont l’humaniste faisait partie. Celui-ci se retrouva seul à défendre son point de vue, arguant que les Juifs, n’étant pas membres de l’Église chrétienne, ne pouvaient être accusés d’hérésie, qu’ils étaient « citoyens de l’Empire », et que leurs livres pouvaient servir à mieux les comprendre afin de les convertir. Il perdit provisoirement la partie. La diffusion de ses écrits fut interdite. En 1511, Pfefferkorn publia un nouveau pamphlet, cette fois dirigé contre la personne de Reuchlin, avec l’appui de l’Inquisiteur général. L’humaniste, qui entre-temps avait aggravé son cas en déclarant que les Juifs étaient « nos frères », fut sommé de comparaître devant l’Inquisition. Il refusa et, fort de sa réputation de savant, parvint à faire intervenir le pape Léon X en sa faveur. De fait, le Vatican était devenu un grand centre d’études hébraïques. Après une série de péripéties, dont une volte-face du pape et la demande formulée par Pfefferkorn que Reuchlin soit brûlé vif (il dit sentir déjà l’odeur des saucisses grillées…), l’affaire s’enlisa car l’Église se trouvait soudain confrontée à un problème bien plus redoutable : Martin Luther. Reuchlin mourut en 1522.*  

Notes

* L’histoire est brillamment racontée par le juriste et sociologue John Flood dans un article du Times Literary Supplement, à propos d’un livre de l’universitaire américain David H. Price, Johannes Reuchlin and the Campaign to Destroy Jewish Books, Oxford University Press, 2011.

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