Un immense débat

« La multiplication des faibles d’esprit représente un terrible danger pour la race », écrivait Winston Churchill en 1910 dans une note au Premier ministre. Ce disant, il traduisait l’esprit de l’époque. Fondé sur le consensus de la communauté scientifique, l’eugénisme comme politique publique semblait devoir s’imposer. Dans les faits, il a été largement institué aux États-Unis, où trente-cinq États ont voté des lois de stérilisation dans les années 1920. Les « défauts » allégués allaient de l’épilepsie à la tuberculose. Le nazisme a discrédité l’eugénisme, mais moins qu’on ne le croit. La Caroline du Nord a stérilisé des milliers de « patients » dans les années 1950 et 1960. Dans la France d’après-guerre, le grand démographe Alfred Sauvy ne cachait pas son intérêt pour « les projets d’amélioration de la race humaine » et préfaçait un livre sur l’« eugénique ». En 1997, un organisme privé américain a engagé un programme de stérilisation volontaire pour des femmes pauvres et toxicomanes, en échange d’argent. On assiste aujourd’hui à un vaste retour en force de l’eugénisme, mais sur des bases différentes. Les techniques de screening des embryons et des fœtus in utero s’ajoutent à celles de la procréation in vitro pour permettre d’envisager une humanité débarrassée des pires maladies génétiques. C’est une révolution d’ampleur comparable à celle consécutive à la découverte des agents infectieux puis des antibiotiques. Elle donne naissance à tout un courant non seulement médical mais philosophique tendant à réhabiliter la notion d’un eugénisme positif, fondé sur la convergence de deux idéaux, celui d’une santé publique à moindre coût et d’un droit au bonheur. Pour couronner le tout, une nouvelle technique à la portée de n’importe quel laboratoire, permettant d’« éditer » l’ADN, ouvre la perspective de corriger des gènes considérés comme défectueux, voire de doper des gènes jugés prometteurs pour l’individu à naître. Aristote pensait que tout bébé né d’une mère de plus de quarante ans ne devrait pas voir le jour. Qu’aurait-il pensé de la nouvelle donne imposée par le progrès technique ? La vérité oblige à dire qu’elle défie l’entendement. Où allons-nous ? Vers une standardisation biologique de l’espèce humaine ? Vers des expérimentations tendant à créer des individus aux capacités inédites, comme le suggèrent certains chercheurs chinois ? Vers de nouvelles formes de coercition sanitaire ? Vers un individualisme débridé favorisant les plus riches et les plus fous ? Un immense débat s’est ouvert.

SUR LE MÊME THÈME

Edito Une idée iconoclaste
Edito No kids !
Edito Soigner mes traumas

Aussi dans
ce numéro de Books