Une haine antique

Selon Diodore de Sicile (Ier siècle avant notre ère), quand le roi séleucide Antiochus VII fit le siège de Jérusalem vers 135 avant J.-C., ses conseillers l’avisèrent de « prendre d’assaut la ville et d’effacer complètement la nation des Juifs, puisqu’eux seuls parmi toutes les nations avaient évité d’avoir affaire à tout autre peuple et considéraient tous les hommes comme leurs ennemis. Ils firent remarquer aussi que les ancêtres des Juifs avaient été chassés de toute l’Égypte comme des hommes qui étaient impies et détestés par les dieux. Car, afin de purifier ce pays, toutes les personnes qui avaient des marques blanches et de lèpre sur le corps avaient été rassemblées et conduites de l’autre côté de la frontière comme si elles avaient été victimes d’une malédiction ; les réfugiés avaient occupé le territoire autour de Jérusalem. Ayant organisé la nation des Juifs, ils avaient fait, de leur haine de l’humanité, une tradition et, à ce titre, ils avaient institué des lois tout à fait bizarres : ne pas rompre le pain avec des membres d’un autre peuple, ni leur montrer la moindre bonne volonté  ». Antiochus VII ne suivit pas l’avis de ses conseillers, mais ce texte reflète un sentiment largement partagé à l’époque hellénistique, estime l’historien allemand Peter Schäfer*. Selon le témoignage de nombreux auteurs anciens, les Juifs étaient perçus comme arrogants, inhospitaliers, asociaux et misanthropes. Ils refusaient de partager le pain ou un repas avec des non-Juifs, de se marier avec eux ou de rendre hommage à leurs dieux. Ce dernier point était ressenti avec une acuité particulière, car le polythéisme des différents peuples les rendait tolérants à l’égard des religions étrangères, dans lesquelles ils trouvaient des similitudes. Le monothéisme des Juifs faisait figure d’anomalie. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils suscitaient ce qu’on appellera plus tard l’antisémitisme, estime Jasper Griffin, un spécialiste anglais de littérature grecque et latine, en rendant compte du livre de Schäfer dans la New York Review of Books. De nombreux textes anciens témoignent d’un respect intrigué à l’égard de ce peuple pas comme les autres. Le philosophe Théophraste, digne élève d’Aristote, y voyait une « nation de philosophes ». Aussi les incidents qui ont pu faire croire à des accès d’antisémitisme avant l’époque chrétienne doivent-ils être interprétés avec prudence. Schäfer évoque une explosion de violence antijuive qui se produisit dans la ville égyptienne d’Élephantine, près d’Assouan, en 410 avant J.-C.. Mais il s’agissait d’une révolte contre une garnison juive au service des Perses, qui avaient étendu leur empire jusque dans la haute vallée du Nil. Le premier véritable pogrom eut cependant bien lieu avant l’expansion du christianisme, à Alexandrie en 38 après J.-C. Les Juifs réclamaient les mêmes droits et statut que les Grecs et leurs revendications se sont brutalement retournées contre eux. Leurs boutiques et maisons ont été incendiées, avec meurtres et pillages à la clé. De manière significative, le polémiste grec Apion d’Alexandrie commenta : « Si les Juifs veulent devenir des citoyens d’Alexandrie, pourquoi ne révèrent-ils pas les dieux d’Alexandrie ? »    

Notes

* Judéophobie. Attitudes à l’égard des Juifs dans le monde antique, Cerf, 2003.

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