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Vive le Canada libre !


La mort du général Wolfe, Benjamin West.

Plusieurs événements ont été organisés cette semaine au Québec pour souligner le 50e anniversaire de la visite historique du général de Gaulle et de son célèbre « Vive le Québec libre ! » lancé le 24 juillet 1967. Un siècle et demi auparavant, un autre Français avait tenté d’enflammer le nationalisme canadien-français. En 1793, Edmond-Charles Genêt, premier ambassadeur aux Etats-Unis nommé par les révolutionnaires, publie une petite brochure. Dans Les Français libres à leurs frères les Canadiens, il enjoint à ces derniers de se défaire du joug anglais : « Canadiens, armez-vous ! ».

 

Lorsque nous gémissions sous un gouvernement arbitraire nous ne pouvions que plaindre votre sort, regretter les liens qui nous unissaient à vous, et en murmurant en secret des trahisons dont vous aviez été les victimes nous n’osions pas plus que vous lever nos têtes courbées sous le joug de la servitude, une stérile indignation de la conduite criminelle de nos rois envers vous était le seul hommage que nous pussions vous rendre.

Mais aujourd’hui nous sommes libres, nous sommes rentrés dans nos droits, nos oppresseurs sont punis, toutes les parties de notre administration sont régénérées et forts de la justice de notre cause, de notre courage et des immense moyens que nous avons préparés pour terrasser tous les tyrans ; il est enfin en notre pouvoir de vous venger, et de vous rendre aussi libres que nous, aussi indépendants que vos voisins les Américains de Etats-Unis. Canadiens, imitez leur exemple et le notre, la route en est tracée, une résolution magnanime peut vous faire sortir de l’état d’abjection où vous êtes plongés. Il dépend de vous de réimprimer sur vos fronts cette dignité première que la nature a placé sur l’homme et que l’esclavage avait effacée.

L’homme est né libre ; par quelle fatalité est-il devenu le sujet de son semblable ? Comment a pu s’opérer cet étrange bouleversement d’idées, qui a fait que des nations entières se sont volontairement soumises à rester la propriété d’un seul individu ? C’est par l’ignorance, la mollesse, la pusillanimité des uns, l’ambition, la perfidie, les injustices des autres. Mais aujourd’hui que par les excès d’une domination devenue insupportable des peuples entiers, en s’élevant contre leurs oppresseurs ont révélé le secret de leur faiblesse et dévoilé l’iniquité de leurs moyens, combien ne sont elles pas coupables les nations qui restent volontairement dans des fers avilissants et qui effrayées du sacrifice de quelques moments de repos, se livrent à une honteuse inertie et restent volontairement dans la servitude. Tout autour de vous vous invite à la liberté ; le pays que vous habités a été conquis par vos pères. Il ne doit sa prospérité qu’à leurs soins et aux vôtres, cette terre vous appartient, elle doit être indépendante. Rompez donc avec un gouvernement qui dégénère de jour en jour et qui est devenu le plus cruel ennemi de la liberté des peuples. Partout on retrouve des traces du despotisme, de l’avidité, des cruautés du roi d’Angleterre. Il est temps de renverser un trône où s’est trop longtemps assise l’hypocrisie et l’imposture, que les vils courtisans qui l’entouraient punis soient de leurs crimes ou que dispersés sur le globe l’opprobre dont ils seront couverts atteste au monde, qu’une tardive mais éclatante vengeance s’est opérée en faveur de l’humanité.

Cette révolution nécessaire, ce châtiment inévitable se prépare rapidement en Angleterre. Les principes républicains y font tous les jours de nouveaux progrès et le nombre des amis de la liberté et de la France y augmente d’une manière sensible ; mais n’attendez point pour rentrer dans vos droits l’issue de cet événement, travaillez pour vous, pour votre gloire, ne craignez rien de George III, de ses soldats, en trop petit nombre pour s’opposer avec succès à votre valeur, sa faible armée est retenue en Angleterre autour de lui par les murmures des Anglais, et par les immenses préparatifs de la France, qui ne lui permettent pas d’augmenter le nombre de vos bourreaux. Le moment est favorable, et l’insurrection est pour vous le plus saint des devoirs, n’hésitez donc pas et rappelez aux hommes qui seraient assez lâches pour refuser leurs bras et leurs armes à une aussi généreuse entreprise l’histoire de vos malheurs. Les cruautés exercées par l’Angleterre pour vous faire passer sous son autorité. Les insultes qui vous ont été faîtes par des agents qui s’engraissaient de vos sueurs. Rappelez leur les noms odieux de Murray et d’Haldimand ; les victimes de leurs férocités. Les entraves dont votre commerce a été garrotté ; le monopole odieux qui l’énerve et l’empêche de s’agrandir ; les traites périlleuses que vous entreprenez pour le seul avantage des Anglais. Enfin rappelez leur qu’étant nés Français, vous serez toujours enviés, persécutés par les rois Anglais et que ce titre sera plus que jamais, aujourd’hui, un motif d’exclusion de tous les emplois.

En effet des Français traiteraient leurs concitoyens en frères et se soucieraient moins de plaire au despote Anglais qu’a rendre justice aux Canadiens, ils ne s’attacheraient pas à plaire aux rois, mais à leurs frères. Ils renonceraient plutôt à leurs places que de commettre une injustice. Ils préféreraient aux pensions, qui leur seraient accordés la douce satisfaction d’être aimés et estimés dignes de leur origine. Ils opposeraient une vigoureuse résistance aux décrets arbitraires de la cour de Londres ; de cette cour perfide qui n’a accordé au Canada une ombre de constitution que dans la crainte qu’il ne suivit l’exemple vertueux de la France et de l’Amérique ; qu’en secouant son joug il ne fonda son gouvernement sur les droits imprescriptibles de l’homme.

Aussi quels avantages avez vous retirés de la constitution qui vous a été donnée depuis six mois que vos représentants sont assemblées, vous ont-ils fait présent d’une bonne loi ? Ont-ils pu corriger un abus ? Ont-ils eu le pouvoir d’affranchir votre commerce de ses entraves ? Non, et pourquoi ? Parce que tous les moyens de corruption sont employés secrètement et publiquement dans vos élections pour faire pencher la balance en faveur des Anglais.

Canadiens, vous avez en vous tout ce qui peut constituer votre bonheur, éclairés, laborieux, courageux, amis de la justice, industrieux, qu’aves vous besoin de confier le soin de vous gouverner a un tyran stupide, à un roi imbécile dont les caprices peuvent entraver vos délibérations et vous laisser sans loi pendant des années entières. N’est-il pas aussi ridicule de confier à un pareil homme placé à l’autre extrémité du globe le soin de veiller à vos plus chers intérêts, que de voir un cultivateur canadien aller se placer aux sources du Missouri pour mieux diriger son habitation.

Les hommes ont le droit de se gouverner eux-mêmes, les lois doivent être l’expression de la volonté du peuple manifestée par l’organe de ses représentants, nul n’a le droit de s’opposer à leur exécution, et cependant on a osé vous imposer un odieux veto que le roi d’Angleterre ne s’est réservé que pour empêcher la destruction des abus et pour paralyser tous vos mouvements : voila le présent que de vils stipendiés ont osé vous présenter comme un monument de bienfaisance du gouvernement anglais. On a comparé très ingénieusement le pouvoir législatif à la tête d’un homme qui conçoit et le pouvoir législatif aux bras du même homme qui exécute, si les bras se refusent à ce que la tête a jugé nécessaire au bien du corps entier, privé de secours il devient malade et il meurt.

Canadiens, il est temps de sortir du sommeil léthargique dans lequel vous êtes plongés, armez vous, appelez à votre secours vos amis les Indiens, comptez sur l’appui de vos voisins, et sur celui des Français. Jurez de ne quitter vos armes que lorsque vous serez délivrés de vos ennemis, prenez le ciel et votre conscience à témoin de l’équité de vos résolutions et vous obtiendrez ce que les hommes énergiques ne réclament jamais en vain, la liberté et l’indépendance.

 

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Resumé des avantages que les Canadiens peuvent obtenir en se délivrant de la domination Anglaise.

  1. Le Canada sera un Etat libre et indépendant.
  2. Il pourra former des alliances avec la France et les Etats Unis.
  3. Les Canadiens se choisiront un gouvernement, ils nommeront eux-mêmes les membres du corps législatif et du pouvoir exécutif.
  4. Le veto sera aboli.
  5. Toutes les personnes qui auront obtenu le droit de citoyen du Canada pourront être nommées à toutes les places.
  6. Les corvées seront abolies.
  7. Le commerce jouira de la liberté la plus étendue.
  8. Il n’y aura plus de compagnie privilégiée pour le commerce des fourrures, le nouveau gouvernement l’encouragera.
  9. Les droits seigneuriaux seront abolis ; les lots et ventes, droits de mouture, de péage, réserve de bois, travaux pour le service des seigneurs, etc. seront également abolis.
  10. Seront également abolis les titres héréditaires, il n’existera plus ni lords, ni seigneurs, ni nobles.
  11. Tous les cultes seront libres. Les prêtres catholiques nommés par le peuple comme dans la primitive église jouiront d’un traitement analogue à leur utilité.
  12. Les dimes seront abolies.

Il sera établi des écoles dans les paroisses et dans les villes. Il y aura des imprimeries, des institutions pour les hautes sciences, la médecine, les mathématiques ; il sera formé des interprètes qui reconnus de bonnes mœurs seront encouragés à civiliser les nations sauvages et a étendre par ce moyen leur commerce avec elles.

LE LIVRE
LE LIVRE

Les Français libres à leurs frères les Canadiens de Edmond-Charles Genêt, Inconnu, 1793

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