La schizophrénie

 La copie Wikipedia sur la schizophrénie commence bien mal : « Le terme de schizophrénie regroupe de manière générique un ensemble d’affections psycho-cérébrales présentant un noyau commun, mais dites différentes quant à leur présentation et leur évolution. On utilise le pluriel pour désigner ces schizophrénies. » Je défie quiconque, après avoir lu cette définition, d’avoir la moindre idée sur ce que peut être cette affection « psycho-cérébrale ». Pourtant dans le Trésor de la langue française, accessible au commun des mortels, on lit : « psychose chronique caractérisée par une dissociation de la personnalité, se manifestant principalement par la perte de contact avec le réel, le ralentissement des activités, l’inertie, le repli sur soi, la stéréotypie de la pensée, le refuge dans un monde intérieur imaginaire, plus ou moins délirant,… ». C’est déjà beaucoup mieux.

Il serait trop long de citer toutes les inepties contenues dans cet article écrit dans un style particulièrement inélégant. Contentons-nous de relever quelques erreurs flagrantes, certaines approximations ou un ou deux manques criants. « Son diagnostic se fonde uniquement sur les déclarations du patient, leur écoute et leur analyse… », lit-on. Le psychiatre serait-il un douanier, un agent de police, ou un fonctionnaire de l’administration fiscale pour recueillir des « déclarations » ? En réalité, le diagnostic se fonde sur des signes cliniques qui ne se limitent pas aux paroles du patient mais qui relèvent aussi de son observation, de son comportement, des témoignages de son entourage, etc.

L’historique est très approximatif. Que penser de cette phrase : « En 1952, le Largactil est accrédité comme neuroleptique ce qui marquera un tournant dans l’histoire du traitement de la schizophrénie notamment parce qu’il en facilitera l’abord psychothérapeutique. » ? L’auteur aurait pu ajouter quelques virgules pour rendre son texte plus lisible. Le terme « d’accrédité » est assez curieux. L’auteur ne mentionne pas les médecins français à l’origine de cette découverte, notamment Henri Laborit, Jean Delay et Pierre Deniker. Pour la première fois un traitement se révélait actif sur un grand nombre de symptômes de schizophrénie, le but n’étant pas de favoriser la psychothérapie, qui a une efficacité très limitée dans la schizophrénie. C’est une date importante qui marque le début de la psychopharmacologie moderne et qui n’est pas mise en perspective par l’article de Wikipedia.

En ce qui concerne le traitement, l’auteur de ce texte explique que dans les formes résistantes aux traitements de première intention, on peut utiliser la clozapine. En réalité, c’est un traitement qui est réservé aux schizophrénies résistantes mais en troisième intention seulement (cf. texte de l’Autorisation de Mise sur le Marché : « La résistance au traitement est définie comme l'absence d'amélioration clinique satisfaisante malgré l'utilisation d'au moins deux antipsychotiques différents, y compris un agent antipsychotique atypique, prescrits à une posologie adéquate pendant une durée suffisante. »). L’article de Wikipédia parle d’effets secondaires graves sans les citer. Il s’agit d’agranulocytose, c’est-à-dire d’une diminution ou d’une disparition des globules blancs polynucléaires, ce qui favorise la survenue d’infections potentiellement graves, voire mortelles. L’article ajoute à propos du traitement par la clozapine : « En France, il a une délivrance limitée, à la semaine en début de traitement après contrôle de la numération leucocytaire ». En réalité c’est toutes les semaines pendant dix-huit semaines, puis tous les mois tant que dure le traitement. Il n’était guère difficile d’apporter ces précisions.

On a la surprise d’échapper à « la forclusion du nom du père » chère aux lacaniens, mais dans la filmographie l’article ne cite pas un des tous premiers films consacrés à cette pathologie et à son abord par la psychanalyse, La Fosse aux serpents d’Anatole Litvak (The Snake Pit, 1948), moins caricatural que le texte de Wikipédia. La bibliographie mentionne le livre du grand psychiatre français d’origine polonaise Eugène Minkowski sur le sujet (avec une faute d’orthographe sur le nom), mais le texte ne souligne pas l’importance de cet auteur, créateur du concept de « perte du contact vital avec la réalité ».

Il serait facile et lassant de multiplier les remarques du même ordre. Globalement cet article contient beaucoup d’approximations, d’informations parcellaires, incomplètes, parfois tendancieuses ou carrément erronées, visiblement écrit par un (des) auteur(s) ne maîtrisant pas le sujet, piochant de ci de là des informations pour composer un patchwork sans tenue. De plus, placé devant cette accumulation de données hétérogènes, le lecteur non averti est dans l’incapacité de séparer le bon grain de l’ivraie. Bref, un article de Wikipedia dont l’utilisation est à proscrire absolument.

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