Homme d'influence
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Zola rate son bac


Edouard Manet/Musée d'Orsay

Les épreuves écrites du baccalauréat ont commencé aujourd’hui. Pour rassurer parents et candidats, longue est la liste de ceux, célèbres ou non, qui ont réussi sans le fameux sésame. Emile Zola est de ceux-là. Le journaliste Paul Alexis raconte, dans Emile Zola : notes d’un ami, l’échec cuisant de l’auteur de L’Assommoir et de Germinal à l’épreuve de littérature.

La rhétorique [1] de Zola à Saint-Louis ressembla absolument à sa seconde : même regret de la Provence, même dégoût du travail universitaire, mêmes lectures indépendantes. Toujours de longues lettres aux camarades du Midi ; toujours une ombrageuse timidité l’éloignant de toute nouvelle amitié. En discours français, pourtant, la même supériorité que l’année précédente en narration française. Non moins perspicace que M. Levasseur, le professeur de rhétorique, M. Étienne, avait remarqué les discours français de l’élève Zola. Bien qu’il leur fit le reproche, sans doute mérité, d’être « trop romantiques, » il aimait à en donner lecture lui-même à sa nombreuse classe, et, très agréable lecteur, il leur faisait produire un grand effet.

Enfin, nous voici en août 1859. Sa rhétorique terminée, que va faire notre élève ? Très en retard pour son âge — dix-neuf ans sonnés ! — sans un sou de fortune, ayant hâte de se faire une position et de soutenir sa mère à son tour, il saute « la philosophie, » et se décide à affronter tout de suite l’épreuve du baccalauréat ès sciences.

Le baccalauréat ! Quel dédain pour ce mot, dès ce temps-là, et pour les diplômes en général, et pour toutes les distinctions universitaires, académiques, sociales. On trouve déjà, chez Zola, un révolutionnaire d’instinct, qui descend au fond des choses, disposé à ne s’incliner que devant le talent original. Mais, en même temps, grâce à un heureux équilibre, à côté du révolté, il y a en lui le raisonnable : résigné, capable de toutes les souplesses, merveilleusement apte à mettre en œuvre l’élan et le ressort, dont il est redevable à l’autre moitié, de sa nature. Ainsi, dans ce cas particulier du baccalauréat, le matin ou il arrivait à la Sorbonne pour les épreuves écrites, je m’imagine le voir : au fond très calme, indifférent, acceptant le résultat quelconque, mais à la surface un peu ému, un peu tremblant, ayant sur la conscience de n’avoir rien fait depuis dix-huit mois, se sentant très mal préparé, redoutant enfin un insuccès probable, presque certain, qui affligera sa mère.

Alors, qu’arrive-t-il ? Ce qui arrive neuf fois sur dix en matière d’examen et de concours public : de l’imprévu, de l’illogique et du grotesque. Reconstituez la petite tragi-comédie suivante.

Le soir du jour des épreuves écrites, le candidat bachelier se couche avec la conviction d’avoir fait une version très médiocre et de ne pas avoir trouvé la solution juste de ses problèmes. Le lendemain matin, à son réveil, une lâcheté le prend. Pourquoi ne pas rester bien chaudement dans son lit, au lieu de risquer une course inutile ? Il se décide pourtant à se lever, va à tout hasard à la Sorbonne, consulte la liste des candidats « reçus à l’écrit : » quel n’est pas son étonnement de se voir le second sur cette liste ! Il n’a donc plus qu’à soutenir l’épreuve orale, une bagatelle. Son tour arrive. D’abord, la partie scientifique : superbe ! Physique et chimie, histoire naturelle : très bien ! Mathématiques pures, algèbre et trigonométrie : bien ! Boules blanches sur boules blanches ! Déjà le succès de l’examen est hors de doute. Ce ne peut plus être qu’une question de « mention. » Zola adresse un clignement d’œil à un camarade, qui se lève, quitte la salle d’examen, et court annoncer le triomphe à la mère. Enfin, il arrive devant le dernier professeur, chargé, celui-ci, d’interroger sur les langues vivantes et sur la littérature.

— Voyons ! d’abord, un peu d’histoire, dit l’examinateur… Veuillez me dire, monsieur, la date de la mort de Charlemagne.

Zola, visiblement troublé, hésite, et finit par balbutier une date. Il ne se trompait que de cinq cents ans. Il faisait mourir Charlemagne sous le règne de François Ier.

—Passons à la littérature, dit sèchement le professeur.

Et il lui demande l’explication d’une fable de La Fontaine. Ce professeur et Zola ne pensaient sans doute pas de même en littérature, car le premier ouvrait des yeux de plus en plus irrités, à mesure que l’autre expliquait La Fontaine comme il le sentait, sans doute avec des vues très romantiques.

—Passons à l’allemand, dit-il de plus en plus sèchement.

Ici, le candidat, d’une réelle ignorance en langues vivantes, ne peut même pas lire le texte allemand. Alors, le professeur hausse les épaules.

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—Cela suffit, monsieur !

L’examen oral est terminé, et, penchés à l’oreille les uns des autres, ces messieurs délibèrent. La délibération est longue. Les professeurs de sciences, encore émerveillés de la lucidité d’esprit, de la netteté de déduction du candidat, intercèdent pour lui, conjurent leur collègue de ne pas maintenir la note « nul » qui entraînait de plein droit l’ajournement. Mais leurs efforts furent vains : le professeur de belles lettres maintint la note. Que n’ai-je le temps, aujourd’hui, d’aller fouiller au fond des archives universitaires ! J’aurais voulu livrer au public le nom du héros qui, lui, tout seul, refusa au baccalauréat l’auteur des RougonMacquart, pour l’avoir trouvé « nul » en littérature.

Cet échec n’empêcha pas Zola d’aller, comme l’année précédente, passer de bonnes vacances dans le Midi. Huit jours après, en blouse et en gros souliers, le carnier sur l’épaule, il courait de nouveau dans les collines avec Baille et Cézanne [2], à huit cents kilomètres de Paris, à mille lieues de l’Université. Cependant, les vacances écoulées, l’idée lui vint de faire un nouvel effort, de rapporter de Provence ce malencontreux morceau de parchemin qu’il n’avait pu conquérir à Paris. Il prolongea donc son séjour de quelques semaines, travailla, et se représenta à la session de novembre, à Marseille. Cette fois, lui qui, à Paris, où les classes sont plus fortes, avait été reçu le second, à « l’écrit, » ne passa même pas la première épreuve. Décidément, c’était une fatalité : il ne serait jamais diplômé ! Pas plus que, vingt ans plus tard, décoré ! De retour à Paris, il ne rentra pas au lycée. Nous sommes en novembre 1859. Le fruit sec avait vingt ans, moins quatre mois. Et, sans avoir passé comme les autres par la porte large qui, dit-on, mène à tout, il se trouvait maintenant devant la vie, en face de sévères réalités.

Notes

[1] La rhétorique correspondait autrefois à la classe de première.

[2] Le scientifique Jean-Baptistin Baille et le peintre Paul Cézanne étaient des amis d’enfance d’Emile Zola.

 

 

LE LIVRE
LE LIVRE

Emile Zola. Notes d’un ami de Paul Alexis, Hachette , 2002

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